Bulletin Numéro 54

TRÊVE D'IRONIE ? (Patrice Dartevelle)

L’APRÈS-CHARLIE : N’APPRENDRONS-NOUS JAMAIS ? (Jean-Jacques Amy)

LE PAPE FRANÇOIS : QUI SUIS-JE POUR DIRE QUE TU ES UNE SECTE? (Patrice Dartevelle)


TRÊVE D'IRONIE ?

Patrice Dartevelle

Blasphème, moquerie, ironie ne sont pas des synonymes. Le blasphème peut se concevoir sans ironie et vice versa. Mais aujourd'hui le blasphème prend souvent la forme d'une ironie, qui a vocation à ne pas être admise, sinon comprise de tous. L'ironie dans sa forme actuelle est le plus souvent différente de celle d'autrefois.

L'ironie, la caricature d'antan se faisaient généralement contre quelqu'un ou quelque chose au nom d'un autre quelque chose. Non point que la moquerie ou le blasphème soient maintenant gratuits mais ils sont fondés sur le droit de dénoncer et la liberté de rire, de se moquer, de choquer, de blasphémer.

Etudier cette évolution ne manquerait pas d'intérêt mais instruire la question uniquement à charge comme l'a fait en 2013 la revue Esprit (1), quitte à en manquer singulièrement, ne risque pas de nous faire avancer.  Fondé en 1932 par Emmanuel Mounier dans l'optique de l'humanisme chrétien, Esprit se voulait et se veut toujours "une protestation contre l'utilitarisme et le matérialisme". Beau programme, quelque peu dirigé contre l'humanisme laïque, mais non dénué d'ambigüité et d'illusions.

Dans un dossier de près de 70 pages intitulé "De quoi se moque-t-on?", la revue se livre à une attaque en règle contre l'ironie, qui ne serait plus que futilité dans les démocraties occidentales où règnerait la plus parfaite des libertés d'expression.

L'ironie serait devenue inapte à construire (mais c'est faire l'impasse sur les conditions de la société contemporaine), son potentiel subversif serait plus que douteux puisque ses assauts répétés ne changent rien (curieux raisonnement qu'on aimerait voir appliquer à d'autres cas : si vous n'avez pas obtenu la victoire, vous êtes inconsistant), nous dit la maître d'oeuvre du dossier, la journaliste Eve Charrin.

Elle reproche par exemple à Libération un titre comme "Chômage : la croissance durable", utilisé pour aborder l'information d'un nouvel accroissement du chômage. Le jeu de mot amortirait le choc et adoucirait le scandale.

L'ironie de ce type, manifestement perçue comme blasphématoire, ne serait plus que "la voix des prisonniers qui ont fini par apprécier leur cage" (selon une formule empruntée à Lewis Hyde). Elle ne servirait qu'à protéger et à préserver "un sentiment ténu d'intégrité". Bref, c'est l'argument habituel : "on ne peut pas rire avec çà !".

E. Charrin constate que l'Etat ne peut plus grand-chose et que, puisqu'on ne peut plus changer le monde, on peut au plus s'en moquer.

Remarquons que si la prémisse était vraie, elle n'aboutirait pas forcément à la conclusion.

Que veut donc E. Charrin ? Selon elle, il faut prendre le pouvoir et les choses au sérieux et, puisqu'il n'y a pas de péril, "s'appuyer solidement et "naïvement" sur les principes qu'affiche le pouvoir pour mieux les lui opposer".

On sent tout de suite la stratège...

Heureux les simples d'esprit (3)

En fait de naïveté, nous sommes servis. Le pire vient de Benoît Peeters, écrivain et scénariste de bandes dessinées qui vit entre Paris et Bruxelles. Il va jusqu'à s'en prendre aux Guignols de l'info pour avoir contribué à un discrédit de la politique "dont nous n'aurions pas besoin".

"Tous pourris" ou plutôt "Tous nuls". Mais le tableau partout en Europe n'est-il pas saisissant ? Veut-il épargner Cahuzac (un pourri, pas un nul), des ministres socialistes que le Président de la république n'arrête pas de forcer à la démission, Copé, Sarkozy, les parlementaires britanniques pris combien de fois la main dans le sac de notes de frais fausses ou tragiquement vraies ou encore le pire, la kyrielle d'hommes politiques espagnols emprisonnés ou inculpés pour corruption à une échelle inégalée ?

La corruption n'est en rien le monopole de la Russie de Poutine. Il est vrai que la Belgique est indemne : on parle bien en France d'une discrète modification de la législation belge pour empêcher l'emprisonnement d'affairistes d'un pays issu de l'ex-URSS pour permettre à la France de construire dans leur pays une usine d'hélicoptères.

Je n'entends pas parler de la moindre trace de procédure judiciaire et la presse ne la réclame pas. Le secret de l'instruction, ce doit être qu'il n'y a pas d'instruction. Fin février 2015, c'est de France qu'on a rallumé le feu éteint sous la casserole.

La cible réelle de B. Peeters, c'est la Belgique, pays-temple ou "modèle réduit de la systématisation du geste ironique et de son extension au champ politique". Il dénonce l'autodérision qui se transformerait en son contraire, "un geste cynique et systématique, nihiliste et politiquement suspect".

Avec une rare naïveté - je lui conseille la lecture du récent et excellent ouvrage d'Hervé Hasquin, Déconstruire la Belgique? (2) - ce franco-belge est particulièrement inconsolable de l'émission de la RTBF, Bye, Bye Belgium, du 13 décembre 2006.

On était habitués à la théorie du caractère performatif du langage qui justifie aux yeux de certains les sanctions à l'égard d'écrits ou de paroles. Ici c'est la dérision qui devient « prédiction en partie autoréalisatrice ».

Cette fiction véritablement performatrice  (j'aurais dit "performative") a fait franchir un pas de plus vers la dissolution du pays".

NVA, je ne connais pas.

Pauvre Peeters qui tient à sa Belgique de toujours.

Ce n'est pas illégitime mais à condition de ne pas nier la réalité et de ne pas croire que le pays est comme avant 1914. Il paraît penser qu'il ne faudrait pas dire que la Belgique pourrait disparaître pour éviter qu'elle ne le fasse. C'est enfantin et triste : il faudrait cacher la vérité pour que ceux qui ne la supportent pas ne la voient pas.

Soyons sérieux, dit B. Peeters qui s'en tient à une "vérité très simple" (décidément...) : "on ne vote pas au deuxième ou au troisième degré" et annonce : "Du pouvoir...on attend un discours vrai, sérieux".

Encore faudrait-il l'obtenir ! On croirait au retour de la vieille formule chrétienne : "Heureux les simples d'esprit !" ou, pour ceux qui connaissent l'air : " Rome tremble et chancelle devant  la vérité".

L'art et l'image

L'ambiance du dossier, parfois constitué par des interviews, a dû déteindre sur certains contributeurs pourtant expérimentés dans leur domaine.

Ainsi, l'éminent dominicain François Boespflug, auteur en 2006 d'un intéressant ouvrage, Caricaturer Dieu. Pouvoir et danger de l'image relève justement que la provocation est une composante significative de l'art contemporain (je pense par exemple à Cattelan) mais il finit par disqualifier celui-ci au nom d'une affirmation dénuée de sens et d'une autre qui ne peut que prolonger et aggraver l'éloignement de l'Eglise de l'art contemporain et donc d'une des composantes de la culture contemporaine.

Il parle de "coucherie de l'art contemporain avec le monde du fric " (c'est l'affirmation dénuée de sens) et s'emporte : "Croyez-vous vraiment que l'on contemplera encore durant plusieurs générations les compressions de César, la machine Cloaca à fabriquer de la merde de Vim (sic) Delvoye...? (c'est l'affirmation qui montre le refus de l'art contemporain).

Luc Ferry a dit à peu prés la même chose dans les colonnes du Figaro en juillet 2014 et le chroniqueur spécialisé du Monde, Philippe Dagen, lui a donné la réplique nécessaire (4).

L'art a toujours eu partie liée avec le pouvoir et l'argent. Ceux-ci ne sont évidemment pas toujours détenus par les mêmes à travers les siècles et le temps n'est sans doute plus aux commandes de l'Eglise ou des grands aristocrates. Mais Rubens, devenu richissime, ne s'est-il pas fait construire un château près de Malines ? Sa proximité avec le pouvoir ne lui a-t-elle pas valu d'accomplir des missions diplomatiques ? Luc Ferry s'en était plutôt pris à la peinture monochrome mais l'argumentation de Dagen vaut pour d'autres courants.

Fr. Boespflug aurait mieux fait de lire les ouvrages des artistes ou ceux qui leur ont été consacrés. Il aurait vu que le problème des artistes contemporains est plus le trop-plein de culture que l'inculture. Il reste bien entendu loisible à chacun d'apprécier ou non tel ou tel artiste. J'avoue être personnellement rétif face au mysticisme fréquent chez les peintres du monochrome.

Le commencement de la sagesse

Le dernier article du dossier sauve un peu la mise même si son auteur rejoint certains des propos des autres contributeurs.

Michaël Foessel est un philosophe quadragénaire "qui monte". Il vient de succéder à Alain Finkielkraut à la chaire de philosophie de l'Ecole Polytechnique.

Il accable certes l'ironie. Il s'en prend par exemple à « l'exaltation du Moi » que selon lui elle promeut.

L'ironie « nie le "réel" (c'est-à-dire la pertinence des discours qui sont tenus par les institutions) sans énoncer une signification nouvelle et consistante ».

Il confirme par ailleurs cette position (5)

Mais heureusement M. Foessel se pose d'autres questions. Il sait bien que les romantiques ont opposé à la philosophie des Lumières le sérieux de la foi médiévale et admet "qu'il se pourrait qu'une certaine pratique de l'ironie constitue le préalable à la critique".

Et il finit par attribuer à l'ironie le mérite de "se défier des discours de la maîtrise qui camouflent leur intention de dominer sous le masque de l'objectivité" et il conclut : "l'ironie pourrait bien, toutefois, être le commencement de la sagesse".

On avait eu peur. Dans ce que disent les essayistes, il y a une vérité incontestable : nous évoluons dans un monde où bien des certitudes d'autrefois (même si nous n'avions pas tous les mêmes) se sont envolées.

J'ai éprouvé comme d'autres ce sentiment mais en appeler à retourner - avec sérieux - à ses valeurs, ses fondamentaux masque toujours le fait que si on le fait, c'est parce qu'on ne veut ou peut pas s'avouer que le réel leur oppose un démenti constant.

Mieux valent alors l'ironie et le blasphème que le refus du réel.

(1) Esprit, N° 394 mai 2013.

De quoi se moque-t-on? pp. 14-80.

(2) Les "textes" parlent  de "pauvres en esprit", mais une telle locution n'est plus vraiment d'actualité (ndle)

(3) Hervé Hasquin, Déconstruire la Belgique ? Pour lui assurer un avenir ?, Académie royale de Belgique, 2014, Collection L'Académie en poche, volume 42, 137 pp.

(4) Philippe Dagen, Non, Luc Ferry, le travail de Soulages n'est pas une "blague", Le Monde du 2 août 2014.

(5) "Nous assistons au règne de l'ironie facile élevée au rang de critique", Le Monde des 27-28 juillet 2014.


L’APRÈS-CHARLIE : N’APPRENDRONS-NOUS JAMAIS ?

Jean-Jacques Amy

Dans les heures et les jours qui suivirent l’attaque à main armée du siège de la rédaction du plus impertinent et du plus indispensable des journaux satiriques, la mort en ce 7 janvier tragique de douze personnes dont de talentueux et courageux caricaturistes, et l’assassinat, le lendemain et le surlendemain, de cinq personnes pour des motifs racistes, il y eut de par le monde une massive et surprenante flambée d’indignation.

On vit en tête d’un cortège de deux millions de personnes manifestant le 11 janvier dans les rues de Paris en faveur de la liberté d’expression, une ribambelle de personnalités politiques peu connues pour leur engagement en la matière.

Au premier rang de cette marée humaine, flanquant François Hollande de façon parfaitement symétrique, paradaient Mahmoud Abbas, président d’une Autorité Palestinienne fort atteinte par la corruption, et Benjamin Netanyahu, Premier ministre d’un état accusé de crimes de guerre commis encore récemment dans la bande de Gaza et déniant l’exercice des droits les plus élémentaires à la population de la Cisjordanie illégalement occupée.

Quelques autres zozos, dont David Cameron, étaient également présents au rendez-vous. Ce brave homme a manifesté son intention, si réélu, de faire dénoncer par le Royaume-Uni la Convention européenne des droits de l’homme.

Les meurtres à Copenhague les 14 et 15 février, commis à nouveau par un djihadiste, ne donnèrent pas lieu à la manifestation d’un ressentiment aussi vif dans l’opinion internationale alors que les motifs animant l’assassin étaient identiques à ceux des fanatiques français : l’intention de tuer le caricaturiste suédois Lars Vilks, qui avait représenté le Prophète d’une manière gentiment friponne, et l’antisémitisme.

Depuis lors, le silence s’est fait sur ces drames ; l’actualité qui nous est présentée consiste à nouveau en commentaires au ras des pâquerettes au sujet de défilés de mode, de matchs de foot, d’histoires de fesse et de la mésentente au sein du gouvernement fédéral. On est en droit d’affirmer que la situation s’est normalisée.

La liberté d’expression et le droit au blasphème, en dépit du fait qu’ils sont constamment bafoués, ne font plus l’objet de l’intérêt de la presse et du pouvoir politique.

Pourtant, il n’y a que sept semaines que Luc Boltanski écrivait dans Le Monde du 16 janvier que « nous n’avons jamais eu besoin autant qu’aujourd’hui» de cette «école de l’irrespect, […] c’est-à-dire de la vérité et du rêve, dont le flambeau fut, pendant quarante ans, tenu par Cavanna et les siens, [cette] école à vivre, et à vivre ensemble ».

Ce message n’a pas été entendu ou sa teneur insolemment rejetée.

L’Etat Islamique brûle vif un pilote abattu et décapite des innocents en série. Obama rend hommage au roi Abdullah d’Arabie Séoudite où les sévices corporels les plus atroces tiennent lieu de sanctions pénales prononcées pour divers délits, dont celui d’opinion.

Boris Nemstov vient d’être assassiné sous les murs du Kremlin pour avoir fait usage de son droit inaliénable de s’opposer ouvertement et de façon non violente au potentat en fonction.

Plus prosaïquement, plus sournoisement, et de façon constante, la liberté d’expression est brimée par d’autres pouvoirs en place.

Réagissons avant qu’il ne soit trop tard !

Il y eut une brève éclaircie suite aux événements en France et au Danemark ; à nous de faire revenir et d’entretenir la lumière. L’humanisme a ses obligations.

N’était-ce pas Montesquieu qui, dans « L’Esprit des Lois », affirmait que « la tyrannie d’un prince dans une oligarchie n’est pas aussi dangereuse que l’apathie d’un citoyen dans une démocratie. » ?

Certes, alors, … secouons-nous !

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LE PAPE FRANÇOIS : QUI SUIS-JE POUR DIRE QUE TU ES UNE SECTE?

Patrice Dartevelle

Dans quelques pays bien-pensants (bien-pensance chrétienne ou laïque, les deux existent ici) on s'inquiète des sectes en tant que telles, on crée des listes. Il y a ainsi en Belgique une liste officielle de 189 sectes dont chacun doit se méfier et contre lesquelles toute autorité est invitée à sévir.

Qu'à un petit nombre de voix près, un membre de l'une d'entr'elles (les Mormons) ait failli devenir Président des Etats-Unis ne paraît pas forcer grand monde à se remettre en question.

La France et la Belgique ont frappé le plus fort en créant un organisme officiel pour combattre les sectes, en France la MIVILUDES, en Belgique le CIAOSN ( Centre fédéral belge d'information et d'avis sur les sectes nuisibles, créé par la loi du 2 juin 1998). "Nuisible" est mis pour faire passer l'atteinte à la liberté de conscience et d'expression mais en fait il est redondant avec "secte" ; le tout est un pléonasme pour ses auteurs.

En France et ensuite en Belgique, on a inventé pour lutter contre les sectes un délit d'abus de faiblesse. D'apparence, il est général mais il a été explicitement voulu comme arme contre les sectes. Bien entendu nul n'a jamais vu un prêtre ou une nonne soutirer argent ou héritage tout entier à un pauvre vieux devenu gâteux.

Le délit n'est à vrai dire pas inutile mais l'exemple français, plus ancien que le belge, montre que la quasi totalité des condamnations (95 %) porte en effet sur l'abus de la faiblesse des vieillards, sans qu'il soit question de secte. Vous avez dit Bettencourt ?

Le président du groupe socialiste à la Chambre belge, André Frédéric, porteur du projet de loi sur l'abus de faiblesse, est connu pour son zèle en la matière.

Mieux, pour ne pas devoir se séparer d'agents désormais désœuvrés par la fin du bloc communiste et des partis communistes en Europe de l'Ouest, le Gouvernement belge a donné à la Sûreté nationale la surveillance des sectes comme l'une de ses principales missions.

Voilà pourquoi on n'avait guère de forces pour repérer et empêcher les candidats au djihad. Mieux vaut aussi surveiller quelques responsables de sectes tout en laissant bien tranquilles prêtres et évêques pédophiles.

Il paraît qu'au sein de la police fédérale, agents chargés de l'antiterrorisme et ceux chargés de la surveillance des sectes partagent les mêmes locaux (1) en un étrange compagnonnage des incapables et des inutiles.

La Chambre belge - repère notoire de spécialistes d'histoire et de sociologie des religions - a entendu autrefois quelques spécialistes de la KUL et de l'ULB, pour une fois également incrédules, mais a balayé leurs avis d'un revers de la main et on a préféré placer leur ligne téléphonique sur écoute (1). Tous ces spécialistes disent depuis longtemps qu'il est impossible de définir religion et secte l'une par rapport à l'autre, sauf à dire que dans un cas on est bien vu du pouvoir et dans l'autre pas

Plus ennuyeux, nos parlementaires semblent être de bien bizarres constitutionnalistes : l'article 19 de la Constitution ne permet aucune répression des cultes, sauf "la répression de délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés".

On a donc inventé un délit d'allure non-spécifique celui d'abus de confiance pour un motif en réalité spécifique. Il y a bien entendu des délits dans les sectes mais l'Eglise ne paraît vraiment pas en reste avec ses crimes de pédophilie par milliers. Le total séculaire des méfaits de l'ensemble des sectes est bien peu de chose en comparaison d'une année de la seule Eglise irlandaise.

La presse se joint aux parlementaires à moins qu'elle ne pèse lourd pour les influencer. Tout récemment un récidiviste de l'obsession anti-sectes, le journaliste du Soir. Alain Lallemand, a comparé l'entrée dans le djihad à l'entrée dans une secte et a imaginé une "déprogrammation" des candidats au djihad comme il la préconise pour les adhérents des sectes (2).

Dans la même veine, le Ministère français de l'Intérieur a commandé un rapport sur la question à un "Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam" (belle trouvaille pour obtenir des commandes publiques) (3).

Ce document est une analyse typologique, nullement confondante, des procédés de propagande et de séduction. Mutatis mutandis on pourrait faire la même avec tous les partis politiques et organisations de tous types, du moins ceux et celles qui ont des militants actifs.

Indépendamment du ridicule et de l'infantilisme de la comparaison entre les deux domaines (à quand la "déprogrammation" des électeurs de la NVA ?), A. Lallemand n'hésite pas à transformer en maladie mentale ce qu'il ne comprend pas et qui le choque.

Vous avez dit URSS ?

Mieux inspiré, Jean-Luc Marret, maître de recherches à la Fondation (française) pour la recherche stratégique, voit bien que le recours aux "outils anti-sectaires" permet "à certaines familles de décliner leur éventuelle responsabilité" et qu'en y recourant on escamote le cas de ceux qui ont cheminé lentement et avec la reconnaissance de leur famille vers le djihadisme (4).

Et on continue ainsi le récit tranquillisant, confortable et politiquement correct des bons musulmans et des méchants islamistes.

Mais le Pape François...

Pourtant un homme particulièrement compétent en matière religieuse et investi des plus hautes responsabilités en la matière vient de donner une solide leçon aux parlementaires belges et français (5).

Il s'agit du pape lui-même.

En juillet dernier, le Pape François s'est rendu à Caserta, non loin de Naples, pour y rencontrer un groupe d'évangéliques, dont il avait connu le pasteur en 2006 à Buenos Aires. Le pape est même allé visiter le nouveau lieu de culte local de la communauté pentecôtiste dénommée "Eglise évangélique de la Réconciliation", une Eglise (c'est le seul terme correct) née aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle et très répandue depuis en Amérique latine. Le pape a mangé avec les 70 invités, essentiellement des pasteurs de cette Eglise venant de toute l'Italie et de quelques autres pays.

François n'y est pas allé par quatre chemins en déclarant "On ne peut plus prêcher un Evangile intellectuel"- il y a une tentation de dire : je suis l'Eglise, tu es la secte.

Le Saint Esprit fait la diversité dans l'Eglise. Mais peu après le même Saint Esprit fait l'unité. Ainsi l'Eglise est une dans la diversité pour utiliser une belle formule, une diversité "réconciliante".

Le pape refuse donc de jouer le jeu stérile de "secte ou religion". Il demande même pardon pour les persécutions subies par les évangéliques dans le cadre des lois raciales de l'époque fasciste (les lois raciales disaient que ce type de religion était mauvais pour la "race" italienne).

Le pape a donc bien décidé d'en finir avec le concept de secte dont il ne voit pas le fondement hors d'un intellectualisme déplacé, ce qui par ailleurs en dit long sur l'importance qu'il accorde aux querelles théologiques

Certes le raisonnement pontifical ne s'exprime ici qu'au sein de la mouvance chrétienne, qui regroupe le plus grand nombre des sectes mais pas toutes. On peut même l'interpréter comme une position stratégique herchant à réintégrer des groupes qui, contrairement à l'Eglise catholique, se développent et taillent des croupières à celle-ci en Amérique su Sud et centrale.

Nul doute que si le pape venait à Bruxelles, nos parlementaires lui feraient la leçon du haut de leur ignorance. Sans doute les parlementaires catholiques seraient-ils quelque peu embarrassés, sans plus.

Dire que l'accueil du geste et des propos pontificaux a été enthousiaste dans l'Eglise italienne serait mentir.

En plus il y avait le problème protocolaire : le pape a dû retourner à Caserta devant l'indignation de l'évêque local auquel le Pape avait "omis" de rendre visite.

Mauvaise passe pour les évêques mais le Pape François n'est vraiment plus très jeune.

La presse française et belge s'est tue de toutes les manières sur cette affaire.

Supprimer le CIAOSN et aiguiller la Sûreté vers des sujets intéressant notre sécurité sont des objectifs des plus logiques pour tout défenseur de la liberté de conscience ou d'expression puisque le pape lui-même se moque de cette question des sectes.

On n'en fera rien. On nous dira au mieux que ce serait une bien belle victoire pour les sectes comme on le dit parfois pour la suppression des lois mémorielles qui serait une trop belle victoire pour l'extrême-droite.

Donc quand on est parlementaire, on peut dire des choses qui ne tiennent pas debout  et refuser ensuite de l'admettre même devant l'évidence.

Vouloir ce repentir serait les offenser.

Qui sont-ils pour mériter pareille faveur?

(1) Quelques pays comme l'Allemagne et l'Autriche s'émeuvent de la question des sectes; le Parlement hollandais a conclu qu'il n'y avait pas là de quoi fouetter un chat. Hormis le cas particulier mais fréquent des pays où les religions sont soumises à autorisation, évidemment réservée à une ou quelques religions, très peu de pays légifèrent sur les sectes.

(2) Le Soir du 10 octobre 2014.

(3) Le Monde du 19 novembre, Le Soir du 21 novembre 2014.

(4) "Les djihadistes, enfants perdus d'une République qui se délite", Le Monde du 21 novembre 2014.

(5) Tout ceci est décrit dans Il Manifesto du 29 juillet 2014.