Bulletin Numero 47

 

 


 

Milton  aux  sources  de  la  liberté  d’expression


Faute de réédition ou de traduction nouvelle, il était très difficile de lire en français le texte fondateur de la liberté d’expression en Europe moderne, Areopagitica : Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure que le poète anglais John Milton publie en 1644 (*). 
Flammarion, en collaboration d’abord avec Le Monde, puis, en 2010-2011, avec Le Soir publie le pamphlet dans la série Les livres qui ont changé le monde, livrée en complément hebdomadaire du quotidien.
L’ouvrage est certes œuvre de circonstance mais il en est ainsi de bien des textes majeurs qui naissent des tumultes de l’histoire.
Dans un contexte politico-religieux violent, Milton prend la parole parce qu’en juin 1643, le Parlement vote une loi rétablissant la censure de la presse.  Milton appartient à une tendance puritaine de l’Eglise nationale épiscopale anglaise et il a l’intransigeance des minorités et du puritanisme.

C’est incontestablement un croyant et un protestant des plus vibrants.  Parfois, cela peut servir.
L’intérêt de l’argumentation de Milton quand il s’adresse aux parlementaires est multiple.
L’axe, à mes yeux, est la valeur intrinsèque de la liberté d’expression pour l’esprit humain : « toutes les opinions, y compris les erreurs, connues, lues et recensées, sont d’un grand service pour atteindre rapidement la plus haute vérité » (p. 87).
Sa conscience des erreurs bibliques est parfois confondante et les conclusions qu’il en tire étonnantes.  Ainsi à ceux qui argumentaient en redoutant la contagion de l’erreur, il va jusqu’à répondre que « dans ce cas, il faut bannir du monde tout savoir humain et toute controverse religieuse, y compris la Bible elle-même ; car celle-ci rapporte parfois crûment le blasphème … s’agissant d’autres grandes querelles, elle répond de façon douteuse et obscure … » (p. 90). 
Et coup de pied de l’âne final : « Pour les mêmes raisons, nous savons que la Bible elle-même a été inscrite au premier rang des livres interdits par les papistes » (p. 91).

La seule chose qui importe pour Milton, c’est la recherche de la Vérité : « notre foi et notre savoir profitent de l’exercice.  L’Ecriture compare la Vérité à une fontaine jaillissante ; si ses eaux ne s’épanchent pas en une perpétuelle progression, elles stagnent dans une mare boueuse de conformisme et de tradition » (p. 117).  Et plus belle apologie de l’esprit de recherche indépendante, le libre examen, disons le mot : « Si l’on croit une chose pour la seule raison que le pasteur l’affirme ou que l’assemblée le décide, sans rien savoir d’autre, quoiqu’on puisse croire vraiment, la vérité même qu’on professe devient une hérésie » (ibidem).  Difficile de mettre plus haut la liberté de conscience.

Plus loin encore : « La force de la Vérité … n’a besoin ni de ruses, ni de stratagèmes ni de censures pour remporter la victoire, ce sont là manœuvres et les défenses que l’erreur utilise contre elle » (p. 136).
Mais ne prenons pas non plus Milton pour un exalté quelque peu naïf.  Sa tolérance a ses limites : « Je ne parle pas de tolérer le papisme et la superstition manifeste » (p. 138).

Liberté  et raison


Une fois passée notre jubilation, il faut bien faire un constat essentiel.
Milton ne sépare pas la liberté de la raison.
Ses motivations sont évidemment théologiques ; le calviniste peu orthodoxe ne suit pas le dogme de la prédestination : « Dieu donne la liberté de choisir, car la raison n’est que choix » (p. 99).

Pour le fondateur qu’est Milton, la liberté d’expression même quand elle est erreur, a un référent, la Raison.  Voilà sur quoi on devrait méditer aujourd’hui, à une époque où l’on paraît croire que le vote populaire, le plus irrationnel soit-il, clôt le débat.  Il n’y a pas là liberté mais esclavage.  La démocratie implique un consensus sur le débat rationnel.
Ce qui corrompt celui-ci mine celle-là.

La seule chose qui me chagrine dans la nouvelle publication est son mode de distribution : vous ne trouverez pas le livre en librairie, c’est un monopole du Soir en Belgique.  Je l’avais d’abord commandé à la boutique du Monde qui a accepté ma commande puis s’est ravisée, sans doute parce qu’il fallait protéger la série du Soir, qui était programmée.
Piètre démonstration du sens de la liberté d’expression, même si je peux comprendre les nécessités économiques.

 


 

Une nouvelle édition de "Concience contre Violence" de Stephan Zweig 1


Ecrit en 1935, la société nazie est déjà à l'oeuvre
La montée des nazis au pouvoir en 1933 abolit la liberté politique, la liberté syndicale, la liberté de pensée, la liberté d’expression, la liberté d’une multitude  de choses. Ce pouvoir étatise l’antisémitisme et, le pire pour Stéphan Zweig  interdit une série de livres et procède notamment à l’ autodafé de ses écrits. Cet écrivain qui a vécu les tourments de la guerre 14-18, devenu pacifiste, rêve d’une Europe unie, d’un monde où règne la liberté d’expression.
Il lui faut un sujet pour dénoncer ce règne de mille ans, Calvin va le symboliser.

Calvin naît en 1509 à Noyon (France).
Ses études le destinent, en principe, à rentrer dans les ordres. A la fin de ses études de juriste, il est influencé par les idées nouvelles et défend le libre examen. L’imprimerie permet la diffusion de la bible « protestante » en français ainsi que de nombreux écrits notamment contestataires.
Le discours des commentaires des « Béatitudes » oblige Calvin à fuir Paris en 1533 qui est plus ou moins la date de son ralliement à la Réforme.

Il arrive en 1536 à Genève, ville largement réformée et dirigée par Guillaume Farel, où la répression contre l’Eglise catholique romaine et ses adeptes devient virulente.
Elle prend fin en 1536  par l’élimination du culte catholique. Calvin est nommé professeur de théologie.
Il se lie à Farel. Ils rédigent ensemble « Confessions de foi», 21 articles d’obligations et d’interdictions pour organiser la vie des gens.
Le conseil de la ville les refuse.

Calvin participe au bannissement des anabaptistes en 1537, et il crée un syndic pour visiter les maisons des habitants afin de les obliger à souscrire à  « La Confession de foi », mais cette tentative échoue par la résistance de la population. Par après, il réussit cependant à obliger les habitants à accepter « La Confession de Foi » et à jurer fidélité à Genève. Les récalcitrants sont bannis.
A force de tyranniser la population par ces prescrits religieux en avril 1538, il est incarcéré avec Farel. Ils se retrouveront tous deux bannis de Genève.

En septembre 1541, suite à des dissensions internes, le conseil général de Genève supplie Calvin de revenir. Celui-ci accepte à la condition de recevoir  tous les pouvoirs. Plus de théâtres, plus de musique, plus de danse, les repas doivent être frugaux, vêtements noirs et plus ou moins identiques, surveillance de la vie privé, obligations de participer au culte, négation du plaisir, interdiction de posséder des livres non autorisés et, le pire, l’autodafé de certains livres.

Pendant son exil à Strasbourg, Calvin s'est lié d’amitié avec Sébastien Castellion, écrivain, humaniste, bibliste et théologien protestant français. Castellion adhère aux idées de Calvin et lorsque celui-ci retourne à Genève, il lui offre la direction du Collège de Rive.
Mais des divergences apparaissent  entre eux, en grande partie sur le principe de la tolérance.

Treize ans plus tard Castellion doit fuir Calvin pour sauver sa famille et lui-même. « …Calvin ne tolère plus à Genève que des suiveurs et des imitateurs serviles. Deux siècles plus tard encore, Voltaire verra là la preuve de l’esprit tyrannique de Calvin. " On en peut juger, écrira-t-il, par les persécutions qu’il suscita contre Castellion, homme plus savant que lui, que la jalousie fit chasser de Genève. ".  »2

Castellion erre à travers l’Europe sans ressource.
Il refuse de taire les critiques. Calvin écrit partout afin que Castellion ne puisse trouver ni emploi, ni accueil.
Il devient correcteur d’imprimerie à Bâle.
Il lui faudra vivre pendant des années, lui et sa famille, dans la misère avant que l’université de Bâle lui accorde une chaire de grec.

Michel Servet, écrivain, humaniste, théologien, astrologue, médecin de grande réputation sera le dernier grand penseur à éliminer. Il fuit l’Inquisition, les protestants, change de nom plusieurs fois pour survivre mais continue à publier. Il écrit régulièrement des lettres à Calvin où il expose ses pensées,  principalement la négation de la Trinité. Il publie une série d’ouvrages qui provoquent la rage de Calvin.
Ne pouvant pas l’atteindre personnellement,  par perfidie, celui-ci transmet en secret des lettres de Servet à l’Inquisition viennoise qui l’arrête.

Il peut s’évader. Commence une errance pour aboutir à Genève où il se fait  arrêter à la sortie du culte que prêchait Calvin. Il est jeté en prison et subit les tourments qui doivent l’affaiblir  pour l’empêcher de se défendre.
Calvin manipule le procès et obtient sa condamnation à être brûlé vif.

La situation de Michel Servet engage Castellion et Curione à publier un sous le faux nom de Martin Bellius, une doctrine de la tolérance, le « Traité des Hérétiques ». « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme »3 une phrase qui résume l’horreur de Castellion. La haine de Calvin ne cesse de croître, il veut détruire celui-ci. Castellion n’ira pas à son procès, la mort le prendra de vitesse.

Pour Stéphan Zweig « Des lois sévères font de Genève une ville modèle; les réformés viennent de tous les pays dans la " Rome protestante " pour y admirer l’application exemplaire du régime théocratique ».4 Ce régime durera plusieurs siècles, et c’est ainsi que Stéphan Zweig voit avec désespoir le fascisme en 1936.

1  Stephan Zweig, Conscience contre violence,
éditions Le Castor Astral, 18 EUR.
2 page 83
3 page 147
4 page 190

 


 

Condamnation à mort pour blasphème d’Asia Bibi – lettre ouverte


Excellence,

Notre association, l’association sans but lucratif Ligue pour l’Abolition des lois Réprimant le Blasphème et le droit de s’Exprimer Librement, a pris connaissance de la condamnation à mort au Pakistan de Madame Asia Bibi.

Elle souhaite vous faire part en une lettre ouverte de son indignation pour cette condamnation.

Celle-ci démontre que votre pays – même s’il a connu des élections pluralistes voici peu d’années – ne pratique pas actuellement une démocratie authentique. En matière de convictions religieuses, la majorité elle-même ne peut empêcher la libre expression des idées minoritaires. Il en va ainsi en Belgique depuis 1831.

Notre association comprend tout à la fois des athées et des catholiques et nous ne pouvons passer pour le paravent ni des uns ni des autres, ou pour les défenseurs exclusifs d’un groupe.

Notre but n’est pas d’inviter votre pays à une plus grande modération dans les sanctions. C’est le principe même de la répression du blasphème qu’il convient d’abolir. Il est toutefois clair que l’application de la sanction prononcée en novembre relève pour nous autant d’une cruauté intrinsèque que d’une intolérance fanatique et qu’il y a d’abord lieu d’éviter toute mise à mort.

Nous serions heureux de vous voir rapporter ce sentiment et cette demande aux autorités compétentes de votre pays.

Je vous prie d’agréer, Excellence, l’assurance de ma plus haute considération.


Le Président
Patrice Dartevelle


À son Excellence l’Ambassadeur du Pakistan
57 Avenue Delleur
1170 Bruxellles