Brian est bien mort

Dans son numéro du 13 janvier dernier, De Morgen a publié un article (« Nooit meer ‘Life of Brian’ », rédigé par Lia van Bekhoven) qui révèle à quel point la liberté d’expression, durant la dernière décennie, est devenue sujette à des restrictions de toute sorte en Grande-Bretagne. En voici la traduction (par Jean-Jacques Amy) :

 

 

“ Nick Cohen, dans The Observer, affirme que les Britanniques sont devenus les plus grands couards au monde. Les médias ne montrent jamais d’illustrations représentant Mahomet. Les historiens de ce pays ne parviennent à placer un récit selon lequel le Coran a été créé par des êtres humains qu’avec les plus grandes difficultés car cette affirmation est considérée blasphématoire par les musulmans bon teint. Dans le monde artistique ainsi que dans les musées, les universités et au sein des rédactions, la prudence est de mise.

 

Rappelons qu’offenser un tiers est passible de sanctions pénales au Royaume Uni. La Section 5 du Public Order Act est tellement vague qu’elle permet d’arrêter quiconque aura ‘offensé ou créé le scandale’. Il y a quelques années, après force libations, un certain Sam Brown avait demandé à un policier, s’il était conscient que son cheval était homosexuel. La police engagea des poursuites après que Brown ait refusé de payer une amende d’un montant équivalant à 95 €.

 

Faire de l’offense un délit est bien évidemment une limitation sévère de la liberté d’expression. Des opinions non conformes, qui sont monnaie courante en Belgique et aux Pays-Bas, ne sont plus tolérées outre-Manche. Les Britanniques sont moins enclins qu’auparavant à hausser les sourcils et à poursuivre leur chemin. Terry Jones, un des Monty Pythons, croit qu’en raison du risque, Life of Brian ne pourrait plus voir le jour à notre époque. Dans le climat actuel, les chrétiens militants peuvent facilement obtenir que la vie de Jésus ne fasse plus l’objet de moqueries.

 

Que ce soit sur la voie publique, au bureau, à la faculté ou sur le net, les Britanniques font preuve de susceptibilité et se fâchent. Depuis 2011, la police au Royaume Uni a enquêté sur 20.000 plaintes formulées par des gens qui se sentaient ‘offensés’ des propos reproduits par les médias sociaux. Le ministre de la Justice a promis de quadrupler la durée d’emprisonnement maximale prévue pour les abus de cet ordre sur internet.

 

La notion de ‘respect’ qui prévaut dans l’opinion publique a pris des dimensions grotesques dans le chef de certains fonctionnaires de Sa Majesté. Quand mon époux (de nationalité britannique) travaillait encore pour l’administration d’une des communes du Grand Londres, il lui était interdit de demander du ‘café noir’. La seule terminologie acceptée à la cafétéria était ‘café sans lait’.

 

Mes amis britanniques on trouvé grossier et de caractère raciste – et absolument pas drôle - ce que je leur ai montré de Charlie Hebdo. Ils admettent le droit à offenser, mais considèrent qu’il implique une responsabilité. La satire outre-Manche diffère de celle sur le continent. Elle est constituée de deux parts d’humour et seulement d’une de colère. Elle est impertinente mais fait preuve de réserve. La première page du journal Private Eye veut faire rire, mais ne pas choquer.

 

La BBC (radio) a transmis le nième débat sur la liberté d’expression. Devait-on la considérer comme un droit absolu ou non ? Un des participants était une journaliste française. Cette dernière estimait que son pays avait beaucoup à apprendre de la manière dont les Britanniques se comportaient envers les minorités. « Vous autres, musulmans, êtes bien mieux intégrés », affirma-t-elle. « A Londres, il n’y a pas de banlieues. Le voile n’a jamais prêté à discussion et n’est aucunement interdit. Les musulmans, en Grande-Bretagne, sont plus respectés et moins l’objet de moqueries. »

 

Mais alors ? Plus jamais de Life of Brian ? Il semble que les Britanniques ont remplacé la liberté d’expression par un modèle de société où la tolérance a acquis plus d’importance. Et il apparaît que la majorité de la population s’en accommode. ”