Bulletin Numéro 42 - Lois mémorielles : enfin un recul
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Lois mémorielles : enfin un recul |
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LOIS MÉMORIELLES : ENFIN UN RECUL
Fort heureusement, les entraves répétées à la liberté d’expression finissent par entraîner des réactions. Celles-ci restent malheureusement minoritaires, mais le délire des lois mémorielles, hyperactif en France, vient de recevoir un coup d’arrêt à la fin de l’année dernière.
Elle est la conséquence du développement de l’action de nombreux historiens autour de Pierre Nora.
Dès septembre 2008, celui-ci publie – avec Françoise Chandernagor – un opuscule incisif et destructeur pour les partisans des lois mémorielles Liberté pour l’histoire (1), reprenant le nom de l’association qui milite contre les lois mémorielles.
L’inflation de ces lois était considérable en France, et une fois posé le principe de rétroactivité au-delà des crimes nazis, tout devient possible : le « génocide » des Vendéens, les protestants de la Saint-Barthélemy, etc.
Comme le dit Pierre Nora, « l’histoire n’est qu’une longue suite de crimes contre l’humanité » (p. 14).
À bien regarder les lois, on voit qu’elles sont chaque fois la conquête d’une minorité et qu’elles sont souvent expiatoires (esclavage,…). Avec les lois mémorielles, il ne s’agit plus que de « plaquer directement sur tous les phénomènes du passé un jugement qui n’est bâti que sur des valeurs et des critères d’aujourd’hui » (p. 29).
Un aspect drôle – ou inquiétant – des lois mémorielles est mis en exergue par Françoise Chandernagor : en droit français, elles sont souvent inconstitutionnelles.
La Constitution française détermine les compétences du Parlement, or les programmes scolaires ou de recherche n’y figurent pas et dans certains débats parlementaires, le Ministre compétent l’a indiqué. Il eût suffi d’un recours devant le Conseil constitutionnel pour empêcher plusieurs de ces lois, mais il n’y en a pas eu.
Sauf à vrai dire dans un cas, celui de la référence aux aspects positifs de la colonisation et le Conseil l’a abrogée.
Le Conseil de l’époque ne pouvait pas être saisi par tout justiciable, mais c’est devenu le cas depuis la réforme constitutionnelle de juillet 2008. Cet élargissement de la saisine a sûrement facilité un pas dans la bonne direction.
L’Appel de Blois
Le 11 octobre, les historiens lançaient l’Appel de Blois contre un projet de décision-cadre du Conseil des ministres européens adopté en première lecture par le Parlement européen instaurant pour tous les génocides, crimes de guerre à caractère raciste et crimes contre l’humanité, un délit de « banalisation grossière », quelles que soient l’époque des crimes en cause (Pierre Nora dans Le Monde du 11 octobre 2008).
Les répliques qui s’en sont suivies étaient navrantes.
Au nom de la mémoire, la députée Christiane Taubira, mère de la loi mémorielle pour l’esclavage au XVe siècle, réclame pour le Parlement le droit d’édicter des « lisières » et « d’énoncer les valeurs de référence » (2). Inutile de tourner autour du pot, cela veut dire que le Parlement peut édicter une vérité historique et punir ceux qui la contestent.
Trois historiens angéliques en apparence, aveugles ou fourbes en réalité, ont contesté que toutes ces lois menacent les historiens (3). Ils réclament aussi « une parole publique sur les pages troubles du passé ».
En faut-il une sur les recherches médicales et chimiques ?
On en revient à la situation médiévale où la foi – telle qu’interprétée par l’Église – dictait sa loi à la science.
Quant aux historiens, ils quittent sur la pointe des pieds les zones chaudes. Peu seront condamnés, soyons-en sûrs, mais les zones de l’histoire délaissées seront un jour réanimées et le diable sait de quelle manière !
Beaucoup plus pervers, le Ministre de l’Éducation nationale est revenu sur les limites constitutionnelles en France et a proposé que la « représentation nationale détermine ce qui doit être enseigné aux élèves » (4). Devant le scandale, il s’est rétracté, mais il a affiché un mal qui ronge la démocratie, à gauche comme à droite : le politique revendique comme jamais, au nom de ses proclamations sur l’État de droit, une suprématie sur tout, même la science (qui a lu quelque décret belge sur les socles de compétences, par exemple en grec ancien, serait édifié).
Heureusement, de plus sages veillaient : le 25 mars 2008, l’Assemblée nationale française a créé une mission pour se pencher sur la question. Sa conclusion, rendue le 18 novembre, est des plus claires : elle recommande de ne plus adopter de lois mémorielles et il n’est plus question que le Parlement légifère sur les programmes scolaires (5).
B. Geremek, auditionné peu avant sa mort, avait par exemple affiché ses réticences. Robert Badinter était également intervenu dans le même sens.
La bonne nouvelle n’est pas seule
Le 15 janvier 2009, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France en donnant raison aux éditeurs du livre du général Aussaresses, les éditions Plon et Perrin, qui avaient été condamnés pour apologie de crimes de guerre en publiant les propos effarants de l’officier tortionnaire (6).
C’est pire encore que la condamnation des révisionnistes : on veut tout bonnement interdire de prendre connaissance de choses trop affreuses pour notre faible intellect de mineur qui pourrait être influencé.
L’Église catholique avait autrefois interdit aux fidèles la lecture de la Bible, sauf dispense de l’évêque.
Nous en revenons à cela, mais ici aussi la liberté s’est révélée plus dure à cuire que prévu.
Patrice Dartevelle
1. Pierre Nora – Françoise Chandernagor, Liberté pour l’histoire, Paris, CNRS Éditions, 2008, 61 pp.
2. Le Monde du 16 octobre 2008.
3. Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Gérard Noiriel, Le Monde du 8 novembre 2008.
4. Le Monde du 31 octobre 2008.
5. Le Monde du 19 novembre 2008.
6. Le Monde du 17 janvier 2009.