Revue Numéro 9 2018 - Retour des Ligues de Vertu ou ‘minoritarisme’ totalitaire ?
Retour des Ligues de Vertu ou ‘minoritarisme’ totalitaire ?
Marc Scheerens
Le lecteur se souviendra peut-être d’un débat supprimé à l’ULB, pourtant défenderesse du libre examen, et inorganisable par la volonté d’un groupe de pression ? Ne faut-il pas maintenir des lieux où des avis contradictoires peuvent engendrer le débat ? Permettre à quelqu’un de s’exprimer n’oblige pas à prendre pour ‘parole d’évangile’ (?) ce qu’il dit ? Pouvons-nous, comme chercheurs humanistes, nous soumettre aux différents diktats des groupes de pression ? Comment allons-nous expliquer ce qu’est le complexe d’Œdipe si le contenu des tragédies grecques succombait à la censure de quelques-uns, qui les jugent offensantes pour les temps présents ? Comment des œuvres d’Art graphiques ou sculpturales pourraient échapper à un rhabillage pour rester estimables si les angelots ou les chérubins ne peuvent avoir de sexe défini, qui serait l’attribution forcée d’un genre qu’ils n’ont pas choisi ? Daumier, et ses caricatures, pour le bien-penser actuel, est homophobe comme Hergé est raciste : haro sur ces baudets !
Pour approcher ce qui me semble être une pression pour une forme de bien-penser, pour chercher son origine, aux States puis chez nous, j’utilise trois documents dont j’offre une lecture, la mienne, celle qui a fait naître mon questionnement.
- Un article de Laure Andrillon, dans le journal Libération du 27 avril 2018
- Un livre de Philip Roth La tache (prix Médicis 2002) publié en français chez Gallimard en 2016
- Un livre co-écrit par Natacha Polony et J.-M. Quatrepoint, Délivrez-nous du bien !– Éditions de L’observatoire, 2018
Cela ne signifie pas que j’épouse tous les avis des auteurs mais seulement leur compétence pour relever des faits qui menacent ce que nous considérons comme un droit inaliénable : la liberté de dire et d’écrire.
Libération, avril 2018.
L’article attire l’attention du lecteur sur une mentalité en naissance dans les Campus américains. Pour ne pas heurter la sensibilité des minorités, une nouvelle génération d’étudiants demande à ce que les universités deviennent un save space. (Le seul moyen d’y exprimer sa haine resterait-il l’arme à feu qu’il est toujours impossible d’interdire au nom d’une interprétation lobbyiste du second amendement de la Constitution?) Cette nouvelle génération n’est-elle pas faite des enfants de celles et ceux qui en 1964 avaient créé le Free Speach Movement ? Ce mouvement pour le droit à la liberté d’expression s’étendra jusqu’en Europe et culminera avec l’événement ‘Mai 68’ et sa suite d’occupations de lieux symboliques. Moins médiatisée, la Théologie de la Libération, qui naît en Amérique Latine, est le reflet de ce même désir de non soumission à la pensée dominante. Comment un laboratoire de la pensée, que peut-être l’Université, pourrait-il être contraint à taire certaines prises de position parce qu’elles déplaisent à quelques-uns ? D’où vient ce besoin de materner à ce point un groupuscule qui pourrait se dire offenser par tel ou tel discours, au point de faire avorter l’orateur porteur de la pensée coupable en lui interdisant l’accès à la clinique du débat ?
Comme le premier amendement garantit une liberté d’expression sans limite, l’Université de Berkley, qui s’est vu contrainte de procéder de la sorte, fait l’objet d’une enquête judiciaire. Pour l’avocat de l’Université, il ne s’agit ni plus ni moins du devoir de protéger le discours impopulaire parce qu’il est celui qui a besoin d’être protégé au nom de la Constitution. C’est aussi impérieux que de ‘Sauver le soldat Rayan’. Or l‘argument invoqué par les tenants du save space est qu’un étudiant, en plein façonnement de sa personnalité, pourrait être choqué par un discours haineux, surtout raciste, qui le laisserait apeuré, silencieux, traumatisé, sans voix. Ainsi protégé par un système maternant, ce jeune (un ou une !) lui sera reconnaissant et en sera un bon défenseur. Or, seul un discours qui menacerait l’intégrité physique réelle pourrait être interdit : le premier amendement ne tient pas compte d’une possible atteinte à l’intégrité émotionnelle. Voilà donc le ‘mal de ce siècle’ qui se met en évidence : cette dictature du sentiment qui prend en otage la liberté de penser. Le débat n’est pas clos. Les staffs des Universités sont mal à l’aise et malmenés : les frais de sécurité pour que les orateurs non-désirés par certains puissent s’exprimer, à cause du droit donné par le premier amendement, peuvent s’élever, en une année, à 2 millions de dollars (des dollars inutilisables pour d’autres causes ou d’autres projets !). D’autre part, des professeurs sont mis sous surveillance par des groupes étudiants, parce qu’ils sont susceptibles de promouvoir dans leur classe des « valeurs anti-américaines ». Ceux-ci défendent la liberté académique en mettant sut cette liste des proscrits Jésus, Socrate ou Indiana Jones ! Vous avez dit absurde ! Sommes-nous, en Europe, à l’abri de la ‘bien-pensance’ ? Ce n’est pas évident à l’audition ou la vue des actualités télévisées. Que chaque lecteur se remémore ce qui a pu l’atteindre, là où il vit, par l’intrusion subtile des discours audiovisuels. Ainsi, aurait-il fallu écrire lecteur.e, pour plaire aux défenderesses du genre, qui oublient pourtant que, dans la sémantique française, les pluriels comme ‘hommes’ sont neutres dans leurs attributs.
La culture tribale selon Roth
Dans son livre La tache, Philip Roth, écrivain, juif blanc américain, raconte le destin d’un homme noir qui se fit passer pour un blanc. Je ne sais s’il y a un événement authentique qui a servi de base à ce roman. Après avoir pris connaissance de l’article du journal français Libération, je me suis imposé la lecture de cet écrit de l’an 2000. Le texte, par rapport à l’article, est prémonitoire de son contenu, mais sa lecture (en traduction) ne m’a pas été facile. Est-ce le reflet d’une appartenance à autre culture ? Certains développements m’ont semblé fort longs et ne rien ajouter au fond du récit, si ce n’est l’approche psychologisante des différents protagonistes. L’auteur s’efforce de faire écho aux pensées qui peuvent se bousculer dans la tête de tel ou tel individu.
Nous voilà en Nouvelle Angleterre, donc pas loin de ce haut lieu universitaire qu’est Boston. (Harvard, MIT, …) après le désengagement des USA du Vietnam, au moment de la première présidence de Clinton. La pensée de l’auteur se développe autour du cas ‘Coleman Silk’. Cet homme est venu lui confesser sa mésaventure en tant que professeur de littérature classique à l’université d’Athéna, dont il avait aussi été le doyen du département des Lettres. La rage l’habite et il impute même la mort de sa femme au traitement qui lui a été réservé. Tout est parti d’une réflexion à voix haute en début de cours. S’étonnant de ne jamais voir deux étudiants sur quatorze lors de ses cours, il interroge son public après l’appel : « Existent-t-ils vraiment ou bien sont ce des zombies ? » Non des zombies puisque les deux inscrits existent vraiment qu’ils sont noirs et de sexe différents. Pour ce professeur de littérature, attaché à la précision de la langue anglaise, le sens est clair : des fantômes. Mais dans la langue usuelle, ce mot est devenu un terme insultant pour les Noirs et voilà que ce distingué professeur est accusé de racisme et de misogynie. Pour aggraver son cas, l’étude de deux pièces d’Euripide est jugée insane par deux étudiantes : ‘dégradante pour les femmes’. L’homme refuse de revoir son cours dans une optique féministe anhistorique. Il s’insurge aussi contre le « mois de l’histoire des Noirs » au cours duquel les étudiants liront un livre sur l’histoire des Noirs écrite par un Noir. Parce qu’il règle ses comptes avec un féminisme radical, la doyenne, qu’il avait choisie pour le remplacer à ce poste, ne veut pas le soutenir et le professeur démissionne. Manque de soutien des autres collègues, même ce professeur, qui fut le premier enseignant Noir de cette institution avec le soutien de Coleman, poids de l’opprobre, ceci peut nous sembler un mauvais jeu de la part de tous les acteurs. Mais…
Subtilité d’écrivain : le lecteur découvre que dans la vraie vie Coleman Silk est en fait un négroïde américain à la peau blanche ! Il doit à son père, fervent lecteur de Shakespeare, la précision du vocabulaire. Dans sa jeunesse, il est passé par la salle de sport pour se former à la boxe et s’endurcir mais il y a renoncé pour entrer dans une université pour l’élite. Il y connaît son premier émoi amoureux et quand il emmène son élue en visite chez sa mère et sa sœur, il doit déchanter. Au retour, sa passion lui confesse, en larmes : « Je ne pourrais jamais… » Et donc, Silk s’engage comme blanc dans la Marine en 42. Lors d’une escale au retour de mission, il se fait cependant éjecter d’un bar (où il y a plus que des boissons à consommer) parce que sa fraude est éventée : le sexe d’un noir ne peut pas polluer une blanche, même prostituée.
Donc, quand il se marie avec une femme blanche de confession juive, il rompt tout rapport avec sa mère : « Tu ne verras jamais tes petits-enfants ! »(Parce que je ne te les présenterai pas de peur que…). Il a couru un gros risque : selon la loi de Mendel, ses enfants auraient pu trahir ses origines ‘autres’ que purement blanches. De plus ceux-ci, un jour, pourraient, en toute ignorance, enfanter ‘dans la couleur’.
Cet homme âgé (71 ans) laissé sur la touche (!) pour propos inconvenant échappe à la fureur qui le ronge en s’éprenant et en aimant physiquement une ‘jeune’ (37 ans) nettoyeuse de la poste et des locaux de l’université. Cette femme a été violentée par son beau-père (et sa mère ne l’a pas crue) avant de se sauver et de vivre de son corps dès l’âge de 18 ans. Elle feint l’illettrisme –parce que c’est plus commode – et parle aux corneilles, en symbiose avec la nature, comme lorsqu’elle trait les vaches de ses hébergeuses. Elle loge là parce qu’elle doit fuir un mari violent que la guerre du Vietnam a complètement détruit psychologiquement. Mais celui-ci veille sur son bien : elle est à lui et de plus, elle serait responsable de la mort de leurs deux enfants dans un incendie. En parlant de ce cas, l’auteur évoque tout ce qui a été dépensé en matériel pendant cette guerre et les 59.000 soldats morts réellement alors que tant d’autres le seront socialement (Cf. le film ‘Né un 4 juillet’ e.a). Il décrit la rage qui habite au plus intime ce militaire de retour ‘à la vraie vie ‘ et les passages conséquents dans les hôpitaux psychiatriques avec les psychotropes obligatoires.
Après un détour par le ressenti de la Doyenne d’origine française qui a succédé à Coleman Silk, détour qui lui révèle, d’elle-même à elle-même, que cet homme pourrait combler le vide dans lequel elle se trouve. Elle reste une étrangère malgré toute sa formation et n’est pas vraiment intégrée spatioculturellement. Par inadvertance, elle clique la mauvaise touche de son ordinateur et le message qui relate sa quête s’envole vers tous ses collègues. Oh, la honte !
Elle va être discréditée à son tour mais le ‘propriétaire’ de la nettoyeuse, dans une de ses crises de délire, fait sortir de la route la voiture du Sieur Coleman et de sa dulcinée, qui y perdent la vie (ou ce qu’il en reste). Elle est sauvée par un con, en quelque sorte ! (M’en pardonnent les féministes.) S’en suit la description des enterrements de ces deux héros, avec leur part d’hypocrisies de circonstance. Finalement, ce serait l’humour de l’auteur, c’est la victime du système, le soldat fou, qui sauve ses tenants de l’obligation d’assumer leurs actes.
Il y a bien d’autres péripéties évoquées dans le récit. Celles citées ci-dessus suffisent pour laisser paraître ce que ce livre de l’an 2000 avait de prémonitoire. Ce qui est devenu le mouvement save space y est en germe. En vivant de faux semblants, d’apparences, d’une recherche de pensées ‘comme il faut’, en se cachant des vérités comme les psychoses de guerre, l’élite (blanche), qui est restée puritaine et ségrégationniste, a engendré chez les plus jeunes le besoin d’un maternage des minorités. En plus, il y a la critique de l’enseignement, même universitaire. Il ne s’agit plus d’apprendre pourquoi nous sommes ce que nous sommes, ni comment la pensée a évolué, ni l’histoire des Hommes et leur quête d’un sens. Il faut comprendre ce monde par la saisie émotionnelle et les convenances de l’instant, quitte à refuser d’entendre la pensée grecque ou shakespearienne par l’approche historique des mentalités qui les ont fait naître. Refuser tout statut de vérité vraie au passé au nom du ressenti sentimental du présent omniscient.
Quand cette vague refluera vers nous, serons-nous prêts pour l’endiguer ou allons-nous être aussi emportés par la force de l’immédiateté ? Celle-ci est déjà à l’œuvre. Puisque la terre est un village, puisque les moyens modernes, qui font circuler des informations vraies ou fausses ‘plus vite que tout de suite’, nous habituent à l’instantané et puisque nous y réagissons épidermiquement sans le souci de vérifier la source, nous perdons le sens critique et l’analyse.
Nous surfons sur le ressenti et sur le communément acceptable. Une autre division du Vivant éclot. Le psychologisme américain et sa théorie du genre (Gender) est susceptible de faire de tous les corps féminins des victimes des corps masculins, prédateurs par définition. Tout qui vient à la vie, suite à la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde, endosse le droit de se qualifier d’un être-au-monde qui lui convienne. La réalité sexuée de sa nature ne peut pas le contraindre à être femelle…ou mâle. La Nature agit de façon aléatoire en différenciant les sexes, mais il appartient au seul individu de choisir comment supporter cet aléatoire. « Nul que moi ne peut m’imposer ce que je puis être ». Ceci engendre le ras-le-bol qui se lit dans ‘Délivrez-nous du bien !’.
Délivrez-nous du bien !
Les normes majoritaires oppriment les minorités. Il faut se défendre de cette violence ! Pour se convaincre de sa modernité et agir en conséquence, le bon parent fait de son enfant le signe de son refus des codes et des bons comportements majoritaires qui l’oppriment…nécessairement. Ce pilote automobile de grand renom a dû s’excuser auprès de ces fans outragés après qu’il eut envoyé un ‘tweet’. Dans celui, photos à l’appui, le receveur peut entendre que le pilote s’étonne de ce que son petit-fils s’extasie de sa robe de princesse, façon reine des neiges, reçue en cadeau de Noël : « Un garçon ne s’habille pas en fille ! ». Le marketing et le sponsoring du coureur ont vite fait de l’obliger de s’excuser de cette bévue, de cette brimade faite à son petit-fils.
Fi de la vérité historique ! De la production à succès franco-canadienne (langue originale : l’anglais) Versailles (saison 3) le spectateur non-informé retiendra que le Roy est mégalomane, sanguinaire et désespérément hétérosexuel, tandis que les vrais héros sont Philippe d’Orléans et son amant. Eux, ont de l’humanité, de l’audace, de l’empathie pour les minorisés (comme les protestants d’alors).
Les associations LGBT (ou LGBTQIA voir plus !) ont inventé l’expression de ‘stérilité sociale’. Il n’est pas égalitaire que l’impossibilité, pour les homosexuels, de procréer ne soit pas considérée comme un scandale et non un état de fait. Donc l’Etat, sous peine de rupture de l’égalité, doit accorder aux couples - quels qu’ils soient – le droit à la procréation médicalement assistée. Ceux qui s’opposeraient à ce droit, qu’ils soient de droite ou de gauche, seront assimilés aux catholiques intégristes.
Délivrez-nous du bien! analyse bien des situations engendrées…par la théorie du genre plus in que la reconnaissance d’une sexualité naturellement assumée. Si ce mouvement devait prendre plus d’ampleur, tous les formulaires informatiques, voire les passeports et les cartes d’identité – ne pourront plus demander de cocher M ou F, sous peine d’être considérés comme discriminants. Alors, les algorithmes, qui explorent ces données, enverront ‘automatiquement’ des publicités pour l’hygiène périodique aussi à des mâles normalement constitués.
Plutôt que de pointer tous ces porcs (tous les mâles de la majorité culturelle incriminée), les femmes et les hommes ne devraient-ils (elles ?) pas mettre autant d’énergie à éradiquer ce génocide, qui n’a de nom que crime dans le bien-penser, qui se passe en Afrique de l’Est, là où toutes les femmes et filles, brutalement, sauvagement, ont le vagin, la vessie et l’anus détruits par les prédateurs qui s’emparent du coltan, ce matériau de tous nos portables et smartphones ? Cette richesse est extraite par des enfants mâles dans des mines, sans protection. Tuer ainsi les femmes, c’est arrêter la procréation naturelle : moins il y aura d’habitant en surface, plus facile sera la possession des richesses souterraines. Vous avez dit cynisme ? Certains diront alors que ce mot contient une insulte faite à l’espèce canine. Les violences faites aux femmes, l’esclavage, le travail forcé des enfants, sont évidemment intolérables. Mais en sera-t-il autrement aussi longtemps que le besoin d’avoir primera sur la dignité, la justice et le partage équitable ? Pour que le Monde devienne viable, il est nécessaire que la majorité des membres de l’espèce humaine soit éduquée et conscientisée.
En réaction à #METOO, Le Monde publia le 09 janvier 2018, une tribune rédigée par 100 femmes, des célébrités connues, des intellectuelles (Anne Morelli), des artistes qui refusaient de voir les femmes cataloguées d’office comme victimes obligatoirement traumatisées par un regard, un attouchement fortuit (ou pas) ou une parole louangeuse sur le vêtement ou les formes. Les mâles doivent se taire et ne rien plus dire, sinon ils seront des prédateurs actifs (puisqu’ils le sont de toute évidence en puissance). Contre cette forme d’excès d’un certain féminisme minoritaire agissant, d’origine américaine, est-il illicite d’opposer, culturellement, le bienfait d’une galanterie ‘à la française’ ? L’espèce humaine doit-elle être divisée fatalement (du latin fatum, destin) en deux classes antagonistes : les prédateurs (mâles) et les victimes (de l’autre genre) ? Cela laisserait paraître que le besoin victimaire est dominant jusque dans le vocabulaire des médias. Le pilote automobile qui casse sa voiture est ‘victime’ d’un accident. Sa compétence reconnue ne peut être mise en cause mais alors, ce serait l’accident qui porterait la responsabilité du dommage. L’accident est-il un justiciable ?
« Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un Nègre. Je ne sais pas si les Nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… ». Pour ces propos publics, JP Guerlain, ce nez de la parfumerie, âgé de 73 ans, par cette boutade propre à sa génération et son milieu, s’est vu condamné à 6000 euros d’amende. Aujourd’hui, ce n’est plus le temps de son enfance : des lois condamnent tout propos jugé raciste, xénophobe ou antisémite. En plus un comité, genre ‘de salut public’ va pétitionner pour boycotter la marque ! Ces propos ne pouvaient être anodins : l’homme est condamnable au nom de l’humeur du temps présent.
Il est important que, intellectuellement, nous fassions tout pour nous délivrer du bien, d’une certaine conception du bien, d’un déterminisme du bien, inadmissible. Pour explicite ce besoin de contrer la prise de pouvoir du minoritarisme, je retranscris ce récit hautement ironique :
« Il a neigé toute la nuit. Voilà ma matinée. 08 :00, je fais un bonhomme de neige. 08.10, une féministe passe et demande pourquoi je n’ai pas fait une bonne femme de neige. 08.15, alors je fais aussi une bonne femme de neige. 08.17, la nounou des voisins râle parce qu’elle trouve la poitrine de la femme de neige trop voluptueuse. 08.20, le couple homo du quartier grommelle que cela aurait pu être deux bonshommes de neige ! 08.20, les végétariens du n° 12 rouspètent à cause des carottes qui servent de nez : la nourriture ne doit pas servir à ça. 08.28, je suis traité de raciste car le couple est blanc (comme neige !) 08.31, les musulmans d’en face veulent que je mette un foulard à la femme de neige. 08.40, quelqu’un appelle la police, qui vient voir ce qui se passe. 08.42 : elle me dit qu’il faut que j’enlève le manche à balai du bonhomme de neige car il pourrait constituer une arme mortelle. Les choses empirent quand je marmonne :’Ouais ! Surtout si vous l’avez dans le...’ 08.45, l’équipe TV locale s’amène. Ils me demandent si je connais la différence un bonhomme de neige et une bonne femme de neige. Je réponds ‘Oui, les boules’ et ils me traitent de sexiste. 08.52, mon portable est saisi et je suis embarqué au commissariat. 09.00, je parais au journal TV ; on me suspecte d’être un terroriste profitant du mauvais temps pour troubler l’ordre public. 09.10, on me demande si j’ai des complices. 09.29, un groupe djihadiste inconnu revendique l’action… »
Est-ce cette forme de vie et de relations que nous devons privilégier ? Il faut du sensationnel pour avoir des auditeurs ou des lecteurs, ce qui permet à une certaine presse d’enjoliver la vérité dans une direction qui flatte ses fidèles. Après, advienne que pourra si cela s’avérait faux, totalement ou partiellement. Ce ne sera qu’un dégât collatéral de plus.
Au nom de la vérité présente, la France et la Belgique pourraient-elles exiger des italiens réparations, puisque leurs ancêtres sont venus coloniser nos ancêtres ? Les fautes du passé, s’ils elles sont réelles, sont des faits, des moments d’une évolution. Et nous ne serions pas ce que nous sommes, globalement, sans cet apprentissage par essais et erreurs. Pour réussir dans la vie il ne faut pas faire le choix de Coleman Silk. Lui se soumet à ce qui est convenu et décide d’être un faux-blanc puisqu’il croit que ce sera le plus adapté à son besoin de réussir.
Tout est permis…mais tout n’est pas souhaitable
Après lecture de ce relevé (à compléter par chacun), nous pourrions craindre que le mode d’être-au-monde décrit par Georges Orwell (1903-1950) soit en train de se mettre en place. L’Occident deviendrait-il une pseudo-démocratie par la grâce des réseaux sociaux ? Je cite : (pg 189) « L’alliance objective d’un néolibéralisme techniciste et d’un minoritarisme fondé sur l’extension infinie des droits individuels nous conduit à un monde où tout ce qui sera possible techniquement sera généralisé au nom du droit de chacun de voir ses fantasmes réalisés. »
Arriverons-nous, collaborerions-nous à la mise en place d’un système où tout ressentiment devra être exprimé pour réclamer (de qui, comment ?) réparation ? Un certain transhumanisme déteste l’Homme tel qu’il est (incarnation, finitude, imperfections) au profit d’une pure toute-puissance, sans rattachement à la nature et ses contingences. Plus de lien social, plus d’attachement culturel : l’idée de mon identité prévaut. Voilà qui me semble étrange. En effet, fallait-il se libérer de l’autoritarisme d’un Dieu Tout-Puissant pour déifier dans le même moule un nouveau terrien pur et sans défaut ? Les défauts sont indispensables : ils sont des occasions de choisir pour ce qui serait meilleur, pas seulement pour moi, mais pour tous les autres différents. Il est de temps de relire et de s’imprégner des intuitions de Spinoza (1632-1677). Il dit que l’homme se réalise dans le bonheur. Si un homme suit un juste raisonnement et découvre comment il appartient à la Nature (qui est Tout et Un), il s’épanouira et se réjouira, non de posséder mais de partager avec équité et justice. Malheureusement, Spinoza n’avait pas de grande considération pour la femme. Il a dû être contaminé par la pensée grecque très misogyne. Nous pouvons lui pardonner cette faiblesse et ne pas lui appliquer un critère de notre temps. Ce que j’en retiens aussi c’est que le progrès humain ne vient pas du ‘suivisme’ mais du questionnement qui conduit à une dissidence assumée au nom de la raison.