Bulletin Numéro 54 - Page 4
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LE PAPE FRANÇOIS : QUI SUIS-JE POUR DIRE QUE TU ES UNE SECTE?
Patrice Dartevelle
Dans quelques pays bien-pensants (bien-pensance chrétienne ou laïque, les deux existent ici) on s'inquiète des sectes en tant que telles, on crée des listes. Il y a ainsi en Belgique une liste officielle de 189 sectes dont chacun doit se méfier et contre lesquelles toute autorité est invitée à sévir.
Qu'à un petit nombre de voix près, un membre de l'une d'entr'elles (les Mormons) ait failli devenir Président des Etats-Unis ne paraît pas forcer grand monde à se remettre en question.
La France et la Belgique ont frappé le plus fort en créant un organisme officiel pour combattre les sectes, en France la MIVILUDES, en Belgique le CIAOSN ( Centre fédéral belge d'information et d'avis sur les sectes nuisibles, créé par la loi du 2 juin 1998). "Nuisible" est mis pour faire passer l'atteinte à la liberté de conscience et d'expression mais en fait il est redondant avec "secte" ; le tout est un pléonasme pour ses auteurs.
En France et ensuite en Belgique, on a inventé pour lutter contre les sectes un délit d'abus de faiblesse. D'apparence, il est général mais il a été explicitement voulu comme arme contre les sectes. Bien entendu nul n'a jamais vu un prêtre ou une nonne soutirer argent ou héritage tout entier à un pauvre vieux devenu gâteux.
Le délit n'est à vrai dire pas inutile mais l'exemple français, plus ancien que le belge, montre que la quasi totalité des condamnations (95 %) porte en effet sur l'abus de la faiblesse des vieillards, sans qu'il soit question de secte. Vous avez dit Bettencourt ?
Le président du groupe socialiste à la Chambre belge, André Frédéric, porteur du projet de loi sur l'abus de faiblesse, est connu pour son zèle en la matière.
Mieux, pour ne pas devoir se séparer d'agents désormais désœuvrés par la fin du bloc communiste et des partis communistes en Europe de l'Ouest, le Gouvernement belge a donné à la Sûreté nationale la surveillance des sectes comme l'une de ses principales missions.
Voilà pourquoi on n'avait guère de forces pour repérer et empêcher les candidats au djihad. Mieux vaut aussi surveiller quelques responsables de sectes tout en laissant bien tranquilles prêtres et évêques pédophiles.
Il paraît qu'au sein de la police fédérale, agents chargés de l'antiterrorisme et ceux chargés de la surveillance des sectes partagent les mêmes locaux (1) en un étrange compagnonnage des incapables et des inutiles.
La Chambre belge - repère notoire de spécialistes d'histoire et de sociologie des religions - a entendu autrefois quelques spécialistes de la KUL et de l'ULB, pour une fois également incrédules, mais a balayé leurs avis d'un revers de la main et on a préféré placer leur ligne téléphonique sur écoute (1). Tous ces spécialistes disent depuis longtemps qu'il est impossible de définir religion et secte l'une par rapport à l'autre, sauf à dire que dans un cas on est bien vu du pouvoir et dans l'autre pas
Plus ennuyeux, nos parlementaires semblent être de bien bizarres constitutionnalistes : l'article 19 de la Constitution ne permet aucune répression des cultes, sauf "la répression de délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés".
On a donc inventé un délit d'allure non-spécifique celui d'abus de confiance pour un motif en réalité spécifique. Il y a bien entendu des délits dans les sectes mais l'Eglise ne paraît vraiment pas en reste avec ses crimes de pédophilie par milliers. Le total séculaire des méfaits de l'ensemble des sectes est bien peu de chose en comparaison d'une année de la seule Eglise irlandaise.
La presse se joint aux parlementaires à moins qu'elle ne pèse lourd pour les influencer. Tout récemment un récidiviste de l'obsession anti-sectes, le journaliste du Soir. Alain Lallemand, a comparé l'entrée dans le djihad à l'entrée dans une secte et a imaginé une "déprogrammation" des candidats au djihad comme il la préconise pour les adhérents des sectes (2).
Dans la même veine, le Ministère français de l'Intérieur a commandé un rapport sur la question à un "Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam" (belle trouvaille pour obtenir des commandes publiques) (3).
Ce document est une analyse typologique, nullement confondante, des procédés de propagande et de séduction. Mutatis mutandis on pourrait faire la même avec tous les partis politiques et organisations de tous types, du moins ceux et celles qui ont des militants actifs.
Indépendamment du ridicule et de l'infantilisme de la comparaison entre les deux domaines (à quand la "déprogrammation" des électeurs de la NVA ?), A. Lallemand n'hésite pas à transformer en maladie mentale ce qu'il ne comprend pas et qui le choque.
Vous avez dit URSS ?
Mieux inspiré, Jean-Luc Marret, maître de recherches à la Fondation (française) pour la recherche stratégique, voit bien que le recours aux "outils anti-sectaires" permet "à certaines familles de décliner leur éventuelle responsabilité" et qu'en y recourant on escamote le cas de ceux qui ont cheminé lentement et avec la reconnaissance de leur famille vers le djihadisme (4).
Et on continue ainsi le récit tranquillisant, confortable et politiquement correct des bons musulmans et des méchants islamistes.
Mais le Pape François...
Pourtant un homme particulièrement compétent en matière religieuse et investi des plus hautes responsabilités en la matière vient de donner une solide leçon aux parlementaires belges et français (5).
Il s'agit du pape lui-même.
En juillet dernier, le Pape François s'est rendu à Caserta, non loin de Naples, pour y rencontrer un groupe d'évangéliques, dont il avait connu le pasteur en 2006 à Buenos Aires. Le pape est même allé visiter le nouveau lieu de culte local de la communauté pentecôtiste dénommée "Eglise évangélique de la Réconciliation", une Eglise (c'est le seul terme correct) née aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle et très répandue depuis en Amérique latine. Le pape a mangé avec les 70 invités, essentiellement des pasteurs de cette Eglise venant de toute l'Italie et de quelques autres pays.
François n'y est pas allé par quatre chemins en déclarant "On ne peut plus prêcher un Evangile intellectuel"- il y a une tentation de dire : je suis l'Eglise, tu es la secte.
Le Saint Esprit fait la diversité dans l'Eglise. Mais peu après le même Saint Esprit fait l'unité. Ainsi l'Eglise est une dans la diversité pour utiliser une belle formule, une diversité "réconciliante".
Le pape refuse donc de jouer le jeu stérile de "secte ou religion". Il demande même pardon pour les persécutions subies par les évangéliques dans le cadre des lois raciales de l'époque fasciste (les lois raciales disaient que ce type de religion était mauvais pour la "race" italienne).
Le pape a donc bien décidé d'en finir avec le concept de secte dont il ne voit pas le fondement hors d'un intellectualisme déplacé, ce qui par ailleurs en dit long sur l'importance qu'il accorde aux querelles théologiques
Certes le raisonnement pontifical ne s'exprime ici qu'au sein de la mouvance chrétienne, qui regroupe le plus grand nombre des sectes mais pas toutes. On peut même l'interpréter comme une position stratégique herchant à réintégrer des groupes qui, contrairement à l'Eglise catholique, se développent et taillent des croupières à celle-ci en Amérique su Sud et centrale.
Nul doute que si le pape venait à Bruxelles, nos parlementaires lui feraient la leçon du haut de leur ignorance. Sans doute les parlementaires catholiques seraient-ils quelque peu embarrassés, sans plus.
Dire que l'accueil du geste et des propos pontificaux a été enthousiaste dans l'Eglise italienne serait mentir.
En plus il y avait le problème protocolaire : le pape a dû retourner à Caserta devant l'indignation de l'évêque local auquel le Pape avait "omis" de rendre visite.
Mauvaise passe pour les évêques mais le Pape François n'est vraiment plus très jeune.
La presse française et belge s'est tue de toutes les manières sur cette affaire.
Supprimer le CIAOSN et aiguiller la Sûreté vers des sujets intéressant notre sécurité sont des objectifs des plus logiques pour tout défenseur de la liberté de conscience ou d'expression puisque le pape lui-même se moque de cette question des sectes.
On n'en fera rien. On nous dira au mieux que ce serait une bien belle victoire pour les sectes comme on le dit parfois pour la suppression des lois mémorielles qui serait une trop belle victoire pour l'extrême-droite.
Donc quand on est parlementaire, on peut dire des choses qui ne tiennent pas debout et refuser ensuite de l'admettre même devant l'évidence.
Vouloir ce repentir serait les offenser.
Qui sont-ils pour mériter pareille faveur?
(1) Quelques pays comme l'Allemagne et l'Autriche s'émeuvent de la question des sectes; le Parlement hollandais a conclu qu'il n'y avait pas là de quoi fouetter un chat. Hormis le cas particulier mais fréquent des pays où les religions sont soumises à autorisation, évidemment réservée à une ou quelques religions, très peu de pays légifèrent sur les sectes.
(2) Le Soir du 10 octobre 2014.
(3) Le Monde du 19 novembre, Le Soir du 21 novembre 2014.
(4) "Les djihadistes, enfants perdus d'une République qui se délite", Le Monde du 21 novembre 2014.
(5) Tout ceci est décrit dans Il Manifesto du 29 juillet 2014.