Bulletin Numéro 50 - Lettre ouverte à une certaine Mireille Mathieu
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Lettre ouverte à une certaine Mireille Mathieu
Le 5 septembre dernier, on pouvait lire sur le site "Lalibre.be" du quotidien "La Libre Belgique" un article qui, en dépit de sa brièveté, en disait long sur votre manque de cœur. Son titre, « Mireille Mathieu dénonce le "sacrilège" des Pussy Riot », m’avait d’emblée interpellé : il évoquait la teneur de propos – vos propos - révélateurs d’un cynisme sans bornes, doublé d’une incommensurable bêtise.
Un bref rappel des faits
Nadejda Tolokonnikova, Maria Aliochina et Katia Samoutsevich, trois jeunes femmes russes âgées de 22 à 29 ans, étaient accusées d’avoir participé en février dernier à une manifestation, à première vue ludique et d’une durée d’une quarantaine de secondes, dans la cathédrale orthodoxe du Christ Sauveur à Moscou.
Elles avaient été arrêtées pour motif d’« hooliganisme et incitation à la haine religieuse » au début du mois de mars et maintenues en détention préventive jusqu’à l’ouverture de leur procès, à la fin du mois de juillet. Deux autres jeunes femmes du groupe avaient fui la Russie afin d’échapper aux poursuites.
Leur crime : avoir chanté une "prière punk" demandant à la Vierge de chasser Vladimir Poutine du pouvoir et avoir dénoncé le soutien actif apporté à la réélection de ce dernier par le patriarche Cyrille de l’Eglise orthodoxe.
Le procès (*)
A l’ouverture du procès, Nadejda Tolokonnikova avait déclaré que son groupe « avait fait une tentative désespérée de susciter des changements dans le système politique en place ».
Un système, Madame Mathieu, dans lequel la séparation des pouvoirs est un leurre.
Ce même système a fait en sorte que le nombre de prisonniers politiques a encore augmenté ces derniers mois et que les assassinats de journalistes, dont celui d’Anna Politkovskaïa, et d’autres personnes ayant milité en faveur des droits de l’homme restent impunis.
Nadejda Tolokonnikova, encore elle, au terme du procès, avait proclamé : « Je ne crains pas le verdict truqué que prononcera cette soi-disant cour de justice et qui me privera de ma liberté, car personne ne saurait m’ôter ma liberté de conscience ». L’insigne courage de cette toute jeune femme aurait, Madame, dû forcer votre admiration et vous inciter à lui témoigner votre soutien, comme l’ont fait d’autres personnalités du monde de la chanson telles que Björk, Sting, Madonna, Paul McCartney, les Red Hot Chili Peppers et Yoko Ono, et plus de cent acteurs, musiciens et dirigeants russes.
Comme l’avait souligné Gennadi Goudkov, membre de l’opposition, ce procès n’avait « rien à voir avec l’application de la loi ».
Il s’agissait selon lui de « représailles politiques, d’une démonstration de la bêtise et de la brutalité des autorités russes telle qu’on n’en avait jamais vue ».
De toute évidence, ce commentaire avait trait aux dernières décennies, mais il dénonçait une collusion entre les pouvoirs politique et judiciaire évocatrice d’une dérive qui, si elle n’était freinée, pourrait mener aux criminelles transgressions des droits des gens qui ont caractérisé l’époque stalinienne.
La punition : un déni de droit
Ces trois jeunes femmes, depuis leur cage vitrée, se sont entendu condamner par la juge Marina Syrova à deux ans de détention dans un camp de redressement.
Dans ses attendus, la magistrate avait décrété que l’action à laquelle elles s’étaient prêtées était de nature « blasphématoire ».
Nul compte ne fut tenu du fait que deux des inculpées avaient un enfant en bas âge. Qu’une juge – une femme, sacré nom de Dieu ! - dans un pays qui jusqu’à Mikhaïl Gorbatchev n’avait connu que l’arbitraire, puisse avoir mentionné dans son verdict que « les concepts féministes sont irréconciliables avec les dogmes à la base de différentes religions, dont la religion orthodoxe » dépasse l’entendement.
L’écrivain Boris Akounine devait déclarer : « Je ne puis croire qu’un magistrat statuant dans un tribunal civil, en ce 21ème siècle, ait pu évoquer des mouvements d’obédience satanique et se soit référé à des conseils d’église moyenâgeux ».
Tout comme vous, Madame Mathieu, la juge n’a pas connaissance des écrits de Montesquieu, qui sont à la base de l’exercice démocratique du pouvoir.
Depuis leur scandaleuse condamnation, ces trois jeunes femmes ont continué de donner des leçons de courage : elles ont signifié qu’elles refuseraient catégoriquement de demander grâce à Poutine, ajoutant que « c’était plutôt à lui de leur demander pardon ». Tolokonnikova et Aliochina, ces deux jeunes mères, ont été transférées le 20 octobre dernier, la première au camp de Mordovia, la seconde à celui de Pern, situés en Russie centrale, ce qui leur interdit tout contact régulier avec leur famille.
La peine de Katia Samousevich a été récemment commuée, en instance d’appel, en une condamnation avec sursis parce qu’elle n’avait en fait pas participé à l’action à l’intérieur de l’église. Depuis sa libération sous conditions, elle a annoncé qu’elle introduirait un recours auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Votre veulerie, leur action d'éclat
J’en reviens à vous, Madame Mathieu.
Interrogée à l’occasion de votre participation à un festival de musique militaire ( !) vous avez déclaré estimer que les Pussy Riot avaient commis un « sacrilège ».
Un propos aussi imbécile ferait se gausser toute personne honnête, s’il n’était aussi odieux, en particulier de la part d’une chanteuse au talent modeste qui, moyennant espèces sonnantes, avait donné un concert au Kremlin pour Vladimir Poutine et Mouammar Kadhafi, en 2008.
Vous avez, Madame, de peu honorables fréquentations. Mais n’ayez crainte : l’Histoire n’enregistre pas les interventions qui n’influent pas sur son cours.
Votre minable proclamation d’allégeance au despote du Kremlin et votre révoltant manque d’humanité sombreront très bientôt dans l’oubli.
Si ce n’était le cas, il ne vous resterait plus – en signe de contrition - qu’à vous raser le crâne, à vous débarrasser de ce risible casque de cheveux teints.
Cela présenterait l’avantage que – ayant perdu votre principal signe distinctif - personne, même le plus assidu lecteur de Paris Match, ne vous reconnaisse.
Les Pussy Riot, quant à elles, sont déjà entrées de plein pied dans la mémoire de l’Humanité. « Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis. » écrivait André Gide. La conviction que l’action de ces jeunes femmes représente un coup d’arrêt à la détérioration poursuivie des droits des gens dans le pays d’André Sakharov calme mon appréhension pour le futur.
Leur geste d’éclat, leur cri en défense de la liberté d’expression, du droit inaliénable à manifester contre l’injustice, la corruption et la collusion des pouvoirs inciteront d’autres à faire preuve d’un pareil civisme et d’un semblable courage. Il faut vaincre le désespoir.
Veuillez agréer, Madame Mathieu, l’expression de mon irrépressible et éternel mépris.
Jean-Jacques Amy,
pour la Ligue pour l’Abolition du Blasphème
et pour la Liberté d’Expression.
(*) les sous-titres ont été rajoutés