Bulletin Numéro 49 - La religion de substitution ne va pas bien
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La religion de substitution ne va pas bien
Incorrigible comme plusieurs pays de l’Europe de l’ouest, la France - ou plus exactement le président et le gouvernement français poussés par des motifs électoraux – a fini par adopter une loi pénalisant la négation des génocides. Initialement, il s’agissait de réprimer la négation ou la contestation du génocide arménien(2).
Il s’agissait bien en fait de créer des sanctions à la loi du 29 janvier 2001, par laquelle la France a reconnu le génocide arménien de 1915.
La loi est adoptée par les députés le 22 décembre 2011.
Un vote du Sénat le 22 janvier 2012 et la promulgation de la loi s’en sont suivis le 23 janvier 2012.
Le côté « coup de tête » présidentiel de l’affaire est transparent. La Chambre des députés française, pas si folle dans son état normal, s’était posé à froid la question des lois mémorielles en octobre 2008 sous la présidence de son président Bernard Accoyer et avait conclu qu’il fallait en finir avec les lois mémorielles(3).
En fait, bien rares, hors du monde politique (ça veut dire quoi « politique » ?) sont ceux qui ont encore le cœur à défendre les lois mémorielles.
Sans avoir en vue la loi française sur le génocide des Arméniens, en Belgique, Mateo Alaluf, dès l’été rappelait l’opposition de Pierre Vidal-Naquet et Madeleine Rébéroux aux lois mémorielles. Il rappelait les propos de cette dernière " la vérité historique récuse toute autorité officielle "(4).
Ceci ne veut pas dire qu’il faut toujours suivre les historiens. Ainsi, l’éminentissime Pierre Nora s’est sérieusement mêlé les pinceaux en déclarant – par incapacité à dénoncer la loi Gayssot contre les révisionnistes que "Pour la Shoa, en effet, la responsabilité de la France est engagée, alors que, dans le cas de l’Arménie, la France n’y est pour rien "(5).
L’argument – parfaitement inconsistant par lui-même – était en plus faux et un modeste (scientifiquement) homme politique, Patrick Devedjian, l’a sérieusement "mouché" en lui rappelant que dès 1915, la France notifie à la Turquie que les auteurs des crimes contre l’humanité seront jugés à la fin de la guerre, qu’en 1920 elle signe un traité qui institue une Arménie indépendante et prévoit la poursuite des crimes de guerre(6).
Immédiatement(7), Roland Badinter soulevait l’inconstitutionnalité de la loi du Parlement français qui ne peut se substituer à une juridiction internationale ou nationale compétente pour dire l’histoire.
Luc Ferry(8) dans Le Figaro, Le Monde(9), Libération(10) n’ont pas voulu suivre.
Bref de la droite à la gauche, l’opposition est forte.
Qui pousse donc les parlementaires français à pareille folie ?
Les autorités turques et spécialement le ministre des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, n’ont pas manqué de faire valoir l’autre argument non moins essentiel.
L’idée qu’un parlement (ou un gouvernement) ne puisse se saisir de la vérité scientifique est effectivement essentielle. Dans le cas contraire, le retour du Moyen Age nous guette. Mais en outre comme le dit le Ministre turc "Je suis vraiment surpris de voir le pays des Lumières interdire une discussion intellectuelle et punir une opinion"(11).
En termes atténués, c’est l’argument ancien et imparable du gouvernement iranien : les lois mémorielles sont une atteinte à la liberté d’expression et justifient les pays qui édictent d’autres limitations à cette liberté.
Plus précisément encore "Quand il y a eu des insultes contre le prophète Mahomet, des Européens ont dit que c’était une question de liberté de pensée".
Le Ministre turc a mille fois raison de souligner les convictions à éclipse des Européens. Nous ne sommes plus crédibles et ceux qui croient que nous pourrons encore longtemps traiter comme cela les non-occidentaux ne voient pas le monde d’aujourd’hui.
Heureusement, le 28 février, le Conseil constitutionnel français a accueilli le recours introduit par 77 sénateurs et 65 députés de divers partis. Son avis est cinglant : "le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression des communautés"(12).
C’est une grande victoire pour la liberté d’expression et un coup d’arrêt à la prolifération des lois mémorielles.
Celles-ci sont-elles condamnées et spécialement la funeste loi Gayssot de 1990, comme d’aucuns le croient(13) ?
Ce serait une bonne chose mais juridiquement ce n’est pas si sûr pour la raison que relève Robert Badinter(7) : la loi Gayssot s’appuie sur une décision valable en droit international.
Mais la référence au Tribunal de Nuremberg est pleine de dangers : il attribue aux nazis le massacre de Katyn.
Le droit international peut parfaitement reposer sur du sable et en se montrant procédurier, on risque de fabriquer des générations de révisionnistes.
***
(1) J’emprunte l’expression à Emmanuel Terray auteur en 2006 de Face aux abus de la mémoire, cf. Le Monde du 29 septembre 2006
(2) cf. Le Monde du 23 décembre 2011
(3) cf. Jérôme Gautheret, Lois mémorielles, la folle mécanique, Le Monde du 5 janvier 2012
(4) Mateo Alaluf, Histoire, mémoire et tribunaux ne font pas bon ménage, Le Soir du 15 juillet 2011
(5 )Le Monde du 28 décembre 2011
(6) Le Monde du 31 décembre 2011, 1er et 2 janvier 2012
(7) Le Monde des 15-16 janvier 2012
(8) Le Figaro du 19 janvier 2012
(9) Editorial du 23 janvier 2012
(10) Editorial de François Sergent du 22 décembre 2011
(11) Le Monde du 22 décembre 2011
(12) Le Monde du 1er mai 2011
(13) Par exemple Louise Lambrichs, Le Monde du 6 mars 2012 ou l’éditorial du Monde du 1er mars