Bulletin Numéro 48 - Taslima Nasreen et Caroline Fourest
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Taslima Nasreen et Caroline Fourest sur la liberté d’expression
Consacrer douze pages à un débat sur les limites de la liberté d’expression n’est pas si fréquent.
C’est pourtant ce qu’ont fait Talisma Nasreen et Caroline Fourest dans leur livre-dialogue, certes de trois cents pages, au titre bien agréable, Libres de le dire (1).
Les deux femmes ne s’entendent pas sur ce point.
Taslima Nasreen est « pour la liberté d’expression sans limite » (p. 143). Caroline Fourest estime pour sa part qu’il y en a une, l’incitation à la haine.
J’ai dit par ailleurs (2) à quel point son argumentation me semblait faible. Pour elle, curieusement, l’incitation à la haine est une expression synonyme d’incitation au meurtre.
Or les lois européennes réprimant l’incitation à la haine sont relativement récentes (2007 en Belgique, en tout cas pour une définition claire et complète) alors que l’incitation au meurtre est depuis bien longtemps punissable.
C. Fourest paraît par ailleurs vouloir se distinguer de la vision américaine de la liberté d’expression.
Le premier amendement à la Constitution américaine ne permet pas la limitation à la liberté d’expression et les Américains se moquent bien de la Déclaration de l’ONU qui serait obligatoire pour intégrer aux lois nationales la répression de l’incitation à la haine.
La seule limite aux USA, et qui est manifestement fondée, est l’incitation directe, immédiate et personnalisée et remplit l’objectif déclaré de C. Fourest !
La condamnation de toute haine est devenue comme un dogme européen (il y a eu là-dessus une campagne d’affichage en Belgique, dans la même veine candide que celle qui incitait à « refuser les extrêmes »).
Je ne vois pas comment interpréter autrement la position de C. Fourest que comme une adhésion aveugle à un dogme, d’autant plus fort qu’il est nouveau.
Sur les lois condamnant le négationnisme, sa position est aussi significative qu’alambiquée.
Remarquons qu’elle ne parle jamais du révisionnisme et logiquement on devrait déduire de sa position qu’elle s’oppose à sa condamnation pénale.
Elle considère que la condamnation du négationnisme est « une peine symbolique, signifiant qu’une ligne a été franchie » (p. 145). D’après elle, on ne va pas en prison pour cela, on paie juste une amende.
Le raisonnement est en soi étonnant puisque contradictoire : c’est si grave qu’il faut une condamnation mais c’est si peu grave qu’une simple amende suffit.
De plus, sur ce point, elle est mal renseignée : des gens vont en prison effectivement au nom de ces lois dans différents pays d’Europe.
Taslima Nasreen l’interpelle sur l’interdiction des signes nazis (elle semble la trouver anormale).
Caroline Fourest lui répond qu’en posséder chez soit devrait être légal (je ne suis pas sûr que ce soit exact en France) mais pas les afficher dans l’espace public car ce serait une incitation à la haine.
Et la Française d’enchaîner qu’au fond la loi réprimant le négationnisme n’a plus guère de raison d’être (elle fait des « martyrs »), qu’on devrait pouvoir dire que la Shoah n’a jamais existé … tant que ce n’est pas une incitation à la haine.
On voit là les ravages de ce concept, qui est aujourd’hui la vraie torpille dirigée contre la liberté d’expression. Les raisons données par C. Fourest pour justifier un peu la valeur symbolique de la loi sont si légères qu’elle doit abandonner sa position mais tout de suite elle se rend compte qu’elle a abandonné son dogme qui la force à tenir pour nulle sa tentation d’en revenir à la liberté d’expression.
Dans un autre chapitre – et quasi systématiquement dans tout le livre – T. Nasreen refuse la distinction entre religion et intégrisme et veut qu’on annonce partout « la religion tue » (p. 43). A aucun moment, C. Fourest ne songe à lui dire que c’est de l’incitation à la haine en raison de la religion …
Cette expression « incitation à la haine en raison de la religion » lui semble une formule magique, celle qui convient à tous les antiracistes (p. 143).
Elle ne voit toujours pas que lutter contre les faits racistes est légitime mais qu’au-delà on broie la liberté d’expression.
Je suis donc forcé à lui rappeler mon argument décisif : toutes ces lois (révisionnisme, incitation à la haine) sont pain bénit pour les ennemis de la liberté.
Après plusieurs de ses collègues, le ministre iranien des affaires étrangères s’est moqué en 2010, avec cynisme et humour, du mauvais état où ces lois mettent la liberté d’expression en Europe (3
Comprenez que les restrictions sont partout et que chacun doit avoir les siennes…
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(1) Taslima Nasreen, Caroline Fourest, Libres de le dire. Conversations mécréantes, Paris, Flammarion, 2010, 307 pages, +/ 19,90 euros. Le chapitre Liberté d’expression : quelles limites ? occupe les pages 141 à 153
(2) Religion et intégrisme, Espace de libertés n° 389, septembre 2010, p. 27
(3) Le Soir du 3 juin 2010