Bulletin Numéro 42


DIEUDONNE A DÉRAPÉ


J’aime bien les spectacles de Dieudonné et il m’est arrivé d’en applaudir lorsqu’ils avaient lieu à Bruxelles. Certes, sa posture de martyr de la liberté d’expression peut paraître névrotique, mais elle a quelques fondements.
J’avoue pourtant avoir été sidéré d’apprendre qu’il avait fait de Le Pen le parrain de son dernier enfant et l’hommage qu’il a rendu sur scène au Zénith de Paris le 26 décembre 2008 à Robert Faurisson en lui faisant remettre par un technicien costumé en déporté juif le prix de l’infréquentabilité et de l’insolence m’a consterné (Le Soir du 29 décembre et Le Monde du 30 décembre).
Non pas que j’aie changé d’avis : les lois contre le négationnisme sont une atteinte des plus graves à la liberté d’expression. Mais je pense que Dieudonné, en s’associant étroitement à Faurisson (en présence de Le Pen et de sa famille) commet une faute politique que la Label a toujours réussi à éviter.
Quand on lutte comme Dieudonné pour la liberté d’expression, on souhaite, tout naturellement, prêter son concours à ceux qui ne peuvent en jouir librement.
C’est l’essence même du combat que l’on mène.


Cependant, un tel combat, comme tous les combats contemporains, n’est pas simple ou plus exactement ne peut être simpliste. La question n’est pas vraiment celle de l’alliance avec le diable. À bien regarder le passé, tout le monde s’est associé un jour avec tout le monde, même Rumsfeld avec Saddam Hussein.
Il faut en réalité mener un combat pertinent et mesurer l’inconvénient de certains soutiens directs, étant entendu en sus qu’aucun des groupes proscrits ne représente une réelle force, un réel appui pour quiconque (et bien entendu, quand bien même ce serait le cas).


Tout qui voit sa liberté contestée se proclame héraut de la liberté, mais ce n’est pas une raison pour le croire. On peut lui faire crédit de sa sincérité, mais cela ne suffit pas.
Être révisionniste ou membre d’une secte ne garantit pas d’être un partisan de la liberté d’expression pour tous. Passons sur Le Pen, l’affaire dans ce cas était facile à juger, mais le risque est grand (voire certain) dans trop de cas. Quant au public, qui sait s'il a applaudi la liberté ou Faurisson ?


Identifier le combat pour la liberté même de ceux qui disent des choses absurdes, fausses ou abominables à un combat particulier, c’est compromettre son combat pour la liberté.
La Label a bien connu la difficulté et a rapidement évité de gonfler facilement ses maigres effectifs en collectant les gens privés de leur liberté d’expression, malgré la justesse de leur combat pour la liberté.
Cela peut décevoir – et a déçu – bien des personnes sincères et qui souffrent, sont l’objet de réprobation sociale, de tracasseries policières, de poursuites ou de condamnations.
Dieudonné risque de donner raison à ceux qui pensent qu’en fin de compte « il achève son voyage vers l’extrême droite » (1). C’est sans doute faux, mais il le donne à croire.
De la même manière, qu’y a-t-il à gagner à se voir interdire des salles ? On comprend qu’un responsable de salle ne veuille pas risquer une seconde affaire du Zénith.
Dieudonné avait rassemblé plus de 5.000 personnes à son spectacle.
Au lieu de manifester ainsi le succès de ses idées, il les compromet en permettant de les confondre avec celles des partisans du révisionnisme.
Ceux qui ont ovationné Dieudonné et Faurisson ont créé une confusion qui ne profitera pas à la liberté.
Patrice Dartevelle


1. Cf. Dominique Sopo (président de SOS Racisme),
Le Monde du 6 janvier 2006.
2. Un rescapé des camps de concentration comme Stéphane Hessel ne peut manquer de le relever,
cf. Libération des 31/12/08 – 01/01/09.


LOIS MÉMORIELLES : ENFIN UN RECUL


Fort heureusement, les entraves répétées à la liberté d’expression finissent par entraîner des réactions. Celles-ci restent malheureusement minoritaires, mais le délire des lois mémorielles, hyperactif en France, vient de recevoir un coup d’arrêt à la fin de l’année dernière.
Elle est la conséquence du développement de l’action de nombreux historiens autour de Pierre Nora.
Dès septembre 2008, celui-ci publie – avec Françoise Chandernagor – un opuscule incisif et destructeur pour les partisans des lois mémorielles Liberté pour l’histoire (1), reprenant le nom de l’association qui milite contre les lois mémorielles.
L’inflation de ces lois était considérable en France, et une fois posé le principe de rétroactivité au-delà des crimes nazis, tout devient possible : le « génocide » des Vendéens, les protestants de la Saint-Barthélemy, etc.
Comme le dit Pierre Nora, « l’histoire n’est qu’une longue suite de crimes contre l’humanité » (p. 14).


À bien regarder les lois, on voit qu’elles sont chaque fois la conquête d’une minorité et qu’elles sont souvent expiatoires (esclavage,…). Avec les lois mémorielles, il ne s’agit plus que de « plaquer directement sur tous les phénomènes du passé un jugement qui n’est bâti que sur des valeurs et des critères d’aujourd’hui » (p. 29).
Un aspect drôle – ou inquiétant – des lois mémorielles est mis en exergue par Françoise Chandernagor : en droit français, elles sont souvent inconstitutionnelles.


La Constitution française détermine les compétences du Parlement, or les programmes scolaires ou de recherche n’y figurent pas et dans certains débats parlementaires, le Ministre compétent l’a indiqué. Il eût suffi d’un recours devant le Conseil constitutionnel pour empêcher plusieurs de ces lois, mais il n’y en a pas eu.
Sauf à vrai dire dans un cas, celui de la référence aux aspects positifs de la colonisation et le Conseil l’a abrogée.
Le Conseil de l’époque ne pouvait pas être saisi par tout justiciable, mais c’est devenu le cas depuis la réforme constitutionnelle de juillet 2008. Cet élargissement de la saisine a sûrement facilité un pas dans la bonne direction.


L’Appel de Blois


Le 11 octobre, les historiens lançaient l’Appel de Blois contre un projet de décision-cadre du Conseil des ministres européens adopté en première lecture par le Parlement européen instaurant pour tous les génocides, crimes de guerre à caractère raciste et crimes contre l’humanité, un délit de « banalisation grossière », quelles que soient l’époque des crimes en cause (Pierre Nora dans Le Monde du 11 octobre 2008).
Les répliques qui s’en sont suivies étaient navrantes.


Au nom de la mémoire, la députée Christiane Taubira, mère de la loi mémorielle pour l’esclavage au XVe siècle, réclame pour le Parlement le droit d’édicter des « lisières » et « d’énoncer les valeurs de référence » (2). Inutile de tourner autour du pot, cela veut dire que le Parlement peut édicter une vérité historique et punir ceux qui la contestent. 
Trois historiens angéliques en apparence, aveugles ou fourbes en réalité, ont contesté que toutes ces lois menacent les historiens (3). Ils réclament aussi « une parole publique sur les pages troubles du passé ».
En faut-il une sur les recherches médicales et chimiques ?
On en revient à la situation médiévale où la foi – telle qu’interprétée par l’Église – dictait sa loi à la science.
Quant aux historiens, ils quittent sur la pointe des pieds les zones chaudes. Peu seront condamnés, soyons-en sûrs, mais les zones de l’histoire délaissées seront un jour réanimées et le diable sait de quelle manière !


Beaucoup plus pervers, le Ministre de l’Éducation nationale est revenu sur les limites constitutionnelles en France et a proposé que la « représentation nationale détermine ce qui doit être enseigné aux élèves » (4). Devant le scandale, il s’est rétracté, mais il a affiché un mal qui ronge la démocratie, à gauche comme à droite : le politique revendique comme jamais, au nom de ses proclamations sur l’État de droit, une suprématie sur tout, même la science (qui a lu quelque décret belge sur les socles de compétences, par exemple en grec ancien, serait édifié).


Heureusement, de plus sages veillaient : le 25 mars 2008, l’Assemblée nationale française a créé une mission pour se pencher sur la question. Sa conclusion, rendue le 18 novembre, est des plus claires : elle recommande de ne plus adopter de lois mémorielles et il n’est plus question que le Parlement légifère sur les programmes scolaires (5).
B. Geremek, auditionné peu avant sa mort, avait par exemple affiché ses réticences. Robert Badinter était également intervenu dans le même sens.


La bonne nouvelle n’est pas seule


Le 15 janvier 2009, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France en donnant raison aux éditeurs du livre du général Aussaresses, les éditions Plon et Perrin, qui avaient été condamnés pour apologie de crimes de guerre en publiant les propos effarants de l’officier tortionnaire (6).
C’est pire encore que la condamnation des révisionnistes : on veut tout bonnement interdire de prendre connaissance de choses trop affreuses pour notre faible intellect de mineur qui pourrait être influencé.
L’Église catholique avait autrefois interdit aux fidèles la lecture de la Bible, sauf dispense de l’évêque.
Nous en revenons à cela, mais ici aussi la liberté s’est révélée plus dure à cuire que prévu.
Patrice Dartevelle


1. Pierre Nora – Françoise Chandernagor, Liberté pour l’histoire, Paris, CNRS Éditions, 2008, 61 pp.
2. Le Monde du 16 octobre 2008.
3. Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Gérard Noiriel, Le Monde du 8 novembre 2008.
4. Le Monde du 31 octobre 2008.
5. Le Monde du 19 novembre 2008.
6. Le Monde du 17 janvier 2009.