Bulletin 56 mai 2016

Pérenniser la LABEL

Esprit du 11 janvier, es-tu là ? (Patrice Dartevelle)

On ne sait qu'inventer... (Patrice Dartevelle)

 

Patrice Dartevelle

Président de la LABEL

 

Comme il se doit, tout conseil d'administration organise les activités à court et moyen terme de l'association dont il émane. Mais il doit aussi se soucier du long terme.

A cet égard, le Conseil d'administration de la LABEL ne peut dissimuler ses inquiétudes sur le sort de l'association.

La cause n'est pas véritablement le nombre de nos membres, 38 dûment en règle de cotisation le 31 décembre 2015. Ce n'est même pas en décroissance.

Nous n'avons jamais été une organisation de masse et n'avons pas vocation à l'être puisque nous ne voulons pas devenir consensuels.

 

Le problème central est celui de notre Conseil d'administration. Il ne comprend que six membres pour un minimum statutaire de cinq.

 

Il n'est pas nécessaire de multiplier ce nombre par trois ou quatre mais moins de dix membres signifie moins d'initiatives, moins de créativité, moins de relais et trop peu de monde pour accomplir le travail nécessaire.

Ce n'est encore qu'un demi-mal.

La question est la moyenne d'âge des administrateurs.

Si nous comptons un administrateur qui vient de devenir quadragénaire, les autres sont nés en 1942, deux en 1943, un en 1946 et un en 1948. La santé de l'un d'entr'eux est déjà chancelante. La nature est occupée à faire son oeuvre et elle ne s'arrêtera pas.

 

Aucun membre n'a posé sa candidature lors de l'assemblée générale de 2016. Un l'avait fait en 2015 mais depuis de nombreuses années, nous retrouvons les mêmes autour de la table de réunion. La fin de tout cela ne peut être bien lointaine.

Il faut du renfort et surtout du remplacement.

 

Le Conseil actuel est bien décidé à trouver de nouvelles bonnes volontés pour prendre la relève.

Nous avons des membres que nous connaissons presque tous. Mais il y a ceux qui habitent loin, qui ont d'autres engagements. Comme c'est aujourd'hui de règle dans le mouvement associatif, beaucoup ne sont pas plus jeunes que les administrateurs...

Peut-être l'un ou l'autre se décidera-t-il en voyant cet appel mais il nous faudra surtout faire venir quelques personnes de l'extérieur, aussi libres et non-conformistes que nous, et si possible quinquagénaires ou moins encore.

Il nous faudra forcer le hasard.

Chacun, administrateur ou membre, est invité à contribuer à cette recherche.

Mais il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté.

J'ai écrit "non-conformistes".

Tout le problème est là. Rassembler quelques anti-musulmans forcenés, chrétiens, juifs ou athées, quelques anticléricaux que leurs adversaires appellent "laïcards", ou "homaisiens" s'ils ont des lettres, n'est pas si difficile.

Mais, comprise ainsi, la lutte contre la répression du blasphème en Belgique et en Europe occidentale ne va pas mener bien loin et masque les vrais problèmes.

Certes, en 2002, en l'absence de toute base légale, on a voulu en Belgique renvoyer devant les tribunaux pour blasphème un prêtre catholique - devenu notre vice-président - mais le Parquet a dû s'excuser de sa bourde.

Dans pareille optique, il faudrait surtout se concentrer sur le Moyen Orient.

 

Notre spécificité est autre, plus forte et plus proche. En Europe occidentale, tout le monde se déclare pour la liberté d'expression et se targue de l'être. Seuls quelques irrédentistes sans succès, sauf en Irlande, en Grèce et fort à l'Est, tiennent à la répression du blasphème.

Mais l'Europe est un univers d'hypocrisie.

 

Tout d'abord, blasphème est pris dans le sens d'argumentation raisonnée et raisonnable contre la religion. S'il s'agit de propos ou d'images qui heurtent, choquent ou scandalisent, ce n'est plus la même chose.

L'hypocrisie qui a entouré les réactions à l'attentat contre Charlie Hebdo n'est plus à démontrer, n'en déplaise à Caroline Fourest. L'unanimité portait sur la mise à mort des caricaturistes. Pour le reste, il suffit de voir ce qu'on a fait de la liberté de ceux qui disaient qu'ils n'étaient pas Charlie. Les mois de prison ferme ont été monnaie courante. Ils avaient blasphémé ! Tout le monde est pour la liberté d'expression mais...

Et je n'ai pas assez de petits points.

 

Pas question de diverger sur l'extermination des juifs par les nazis (étant entendu que pour notre part nous n'en contestons pas la réalité) : en France, on ne peut contester les conclusions du Tribunal de Nuremberg (dont une au moins, celle qui attribue aux nazis la responsabilité du massacre de Katyn, est absurde), en Belgique on peut mais pas "grossièrement".

La répression de l'incitation à la haine à tout le moins pour des motifs religieux, politiques et philosophiques (mais n'essayez pas de dire qu'il faut arrêter l'immigration, c'est du pur racisme !) est le camouflage de la répression du blasphème mais nul ne veut s'en aviser.

 

On veut imposer le respect. Respect des religions, des "valeurs", aujourd'hui jamais religieuses. C'est le sens de l'évolution générale de la législation et de la jurisprudence - parfaitement imprévisible pour chaque arrêt tant l'affaire est filandreuse - de la Cour européenne des droits de l'homme : toutes les idées auraient droit au respect, sauf...

 

Sauf les "sectes" (un terme que nul n'est jamais parvenu à définir), au prix de la liberté de conscience et de religion.

La stupéfaction de la presse et de l'opinion devant le jugement logique d'acquittement de l'Eglise de Scientologie en dit long sur l'intolérance comme spontanée et naturelle qui s'est imposée en Europe.

 

Sauf Dieudonné parce qu'il fait rire des choses dont on ne peut pas rire et qu'il ne respecte rien par évidente allergie à l'ambiance générale.

Pour notre part, à la LABEL, nous respectons les personnes mais nous n'aimons pas qu'on force à respecter les idées, évidemment "sauf...".

C'est contre l'air du temps depuis vingt ans.

Raison de plus pour continuer la lutte entreprise en 1989. Nous ne sommes pas bien puissants mais nous existons. Après l'attentat contre Charlie Hebdo, c'est à nous que pense La libre Belgique et, plus récemment, notre communiqué contre le projet de la ministre de l'Enseignement limitant la liberté d'expression des enseignants hors de leur profession est venu bien à point aux organisations syndicales.

Nous rencontrons parfois des personnes qui nous disent, discrètement, qu'elles partagent nos idées, qu'elles étouffent.

 

Aucun humoriste ou caricaturiste ne conteste qu'il doit être autrement prudent qu'il y a quelques années.

Il est temps que quelques-uns se décident à nous rejoindre et à reprendre le flambeau. Sinon....

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Esprit du 11 janvier, es-tu là ?

 

Patrice Dartevelle

 

Il est temps de tenter des conclusions de l'attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo et de la manifestation du 11 janvier. La question est passionnelle, renouvelée pour certains aspects à chaque attentat djihadiste (1) et je ne peux prétendre à la neutralité (on peut même l'espérer) ni à l'objectivité.

Du point de vue d'un défenseur de la liberté d'expression, l'assassinat de la plupart des dessinateurs du journal satirique possède une signification tout autre que la plupart des autres attentats et c'est par lui qu'il convient d'essayer de décrypter les choses.

A prendre quelques livres parus depuis, en fait assez rapidement, on voit aisément les oppositions irréconciliables entre C. Fourest - inconditionnelle de l'esprit du 11 janvier, E. Todd - qui y voit le contraire de ce qui est proclamé ou S. Federbusch - qui n'y voit qu'un "enfumage" très politique.

 

Todd et le "flash totalitaire"

 

La position d'Emmanuel Todd (2) est la plus connue. La manifestation du 11 janvier est un "flash totalitaire", une hystérie collective sommant tous les Français, et spécialement les musulmans, à être Charlie.

L'anthropologue utilise ses modes d'analyses habituels, répartissant les régions de France en fonction des structures familiales et religieuses traditionnelles et assimile les manifestants du 11 janvier au bloc inégalitaire de l'espace français, en gros les régions autrefois très catholiques, qui auraient fourni le gros des manifestants. On peut accepter son point de départ, 4 millions de Français qui manifestent sur 66 ça ne fait pas toute la France, et sans doute la volonté d'hégémonie, mais tout le reste est contesté, et je ne compte pas entrer dans le débat entre socio-anthropologues.

 

Fourest et l'éloge du blasphème?

 

Caroline Fourest publie en mai 2015 un ouvrage enflammé pour Charlie (elle y a travaillé plusieurs années), au titre qui ne pouvait manquer de m'accrocher, Eloge du blasphème (3).

C'est à la fois un pamphlet et un réquisitoire contre les adversaires de Charlie, ses adversaires tout court et en faveur de sa vision-universaliste de la gauche.

 

On y trouve beaucoup de bonnes réflexions mais aussi plein d'impasses et de contradictions sur les problèmes posés, comme ceux de l'islamophobie et de l'incitation à la haine. Elle manie de préférence des positionnements ou étiquettes et sait les asséner comme des anathèmes.

 

Cela dit, même si la position n'est pas exempte de naïveté, affirmer que si tous les journaux français avaient accepté, comme la rédaction de Charlie Hebdo le leur avait demandé, de publier les caricatures danoises de Mahomet, les frères Kouachi n'auraient su à qui s'en prendre. Peut-être mais la presse n'est pas composée d'anges et Charlie Hebdo n'en était pas un non plus.

 

C. Fourest s'en prend à juste titre à une série de personnes dans les médias, au comportement plus que douteux à ses yeux et aux miens. C'est parfois hautement prévisible, comme pour Tariq Ramadan, dont elle refait une fois encore la généalogie "frèriste" très particulière.

Mais à quoi bon encore discuter avec une spécialiste du double discours qui, in casu, a toujours laissé planer un doute sur les vrais auteurs de l'attentat pour repousser les questions sur la responsabilité de l'islam ?

 

Sa bête noire est la journaliste de RTL Rokhaya Diallo et sa croisade, bien antérieure au 7 janvier 2015, contre Charlie Hebdo et la gauche laïque.

En 2010, elle avait déclaré que l'interdiction faite aux femmes musulmanes de porter le voile donnerait à Ben Laden des arguments pour menacer la France.

Mais quand, le soir du 7 janvier, R. Diallo est choquée quand le journaliste du Figaro Ivan Rioufol déclare qu'il faudrait que les Français musulmans qui désapprouvent l'attentat manifestent, C. Fourest condamne Rioufol.

Il lui est impossible de surmonter le magique et manipulateur "Pas d'amalgame !".

 

Gauche universaliste

 

Sa grande idée, qui est fort logique, sauf que pour elle ce qui n'est pas de gauche n'existe pas (elle ne prend jamais en compte que, toutes chapelles confondues, elle représente de manière stable au plus 40 % des électeurs français), c'est que l'enjeu du conflit réside dans la lutte entre d'une part la gauche laïque universaliste et d'autre part la gauche communautariste, multiculturaliste qui se méfie de la laïcité.

A cette dernière, elle joint souvent le communautarisme anglo-saxon qu'elle voue perpétuellement aux gémonies et agite sans débat comme un épouvantail. C'est sa position bien connue mais si les échecs du multiculturalisme sont patents, ceux de l'universalisme à la française ne me le semblent pas moins et la lecture de C. Fourest ne permet de rien peser, pour ou contre.

 

Son argumentation sur l'interprétation des attentats commis en Europe par des Musulmans - la liste en devient de plus en plus longue - est difficile à comprendre. Elle se refuse à "charger" l'islam alors qu'elle n'a pas de mot assez dur contre les "comunautaristes", parce que, substituant son idéologie à la réalité (jamais les musulmans de France ou de Belgique n'accepteront de ne pas former une communauté), elle ne peut voir que des Français, musulmans peut-être mais Français d'abord.

Elle considère à juste titre que ceux qu'elle appelle "terroristes" le deviennent par goût, pour des raisons idéologiques. Elle ne voit chez eux que des "dérives individuelles" mais ce n'est pas en ce sens qu'il faut interpréter les propos, que j'approuve comme elle, du troisième frère Kouachi, Chabane, titulaire d'une licence en japonais, qui déclare : "mes frères ne peuvent pas dire qu'ils en sont arrivés là parce qu'ils étaient orphelins. Je le suis aussi, et je ne suis pas comme eux".

 

Etre orphelin est triste mais les frères Kouachi ont été choyés durant leur enfance et leur adolescence par les pouvoirs publics, qui, par exemple, leur ont payé maintes fois des vacances. Chabane Kouachi montre qu'il n'y a pas de déterminisme social insurmontable et que sans doute celui-ci est surestimé. On ne peut pas ramener les djihadistes à de purs délinquants même si de telles personnes sont toujours à l'aise dans un certain type d'action. La règle vaut pour tous les causes impliquant clandestinité et violence.

 

C. Fourest en arrive même pratiquement à nier la réalité du blasphème. Quand il y a, dit-elle, accusation de blasphème, c'est "toujours à cause d'un contexte géopolitique agité par des manipulateurs".

On ne connaît effectivement pas de fait sans contexte - sauf l'acte gratuit - mais ici on expurge la religion comme phénomène et toute l'explication réside dans l'excuse universelle pour botter en touche, la manipulation.

C'est le signe qu'on ne comprend pas, qu'on ne veut pas comprendre pour éviter de remettre son idéologie en question.

 

C. Fourest ne nous sortira pas du tunnel où nous sommes.

 

Islamophobie et incitation à la haine

 

Les deux "noeuds" essentiels sont les questions de l'incitation à la haine et de l'islamophobie. C. Fourest veut opérer une précision : on parle "d'islamo-phobie" et non de "musulmano-phobie".

Islamophobie serait source d'une confusion sémantique qui sert "à faire croire que résister au fanatisme relève du racisme" et, pour bien cadrer avec l'antiracisme :

"Il n'y a donc aucun problème à parler de racisme anti-musulman, qu'il s'agisse d'actes ou de propos (bien sûr elle mêle allègrement les deux en en faisant une évidence) visant les musulmans dans leur ensemble...

Le seul problème c'est que le mot "islamophobie" englobe sémantiquement toute critique envers le religieux ou l'intégrisme".

En mettant sur le même pied actes et propos, C. Fourest s'est enfermée elle-même. Toute critique de l'islam peut facilement et de bonne foi être assimilée à une critique des musulmans dans leur ensemble. La seule chose qui puisse être distinguée, ce sont les appels au meurtre dans un contexte réel.

A défaut, la casuistique est infinie et C. Fourest y sombre. Elle prend un exemple qui n'est pas, à plusieurs égards, piqué des hannetons.

Charlie Hebdo a publié un dessin de Tignous représentant un musulman qui, pendant le ramadan, demande à un barbu : "Si ma femme me suce la journée, mais qu'elle n'avale que le soir, ça va ?". Un site d'extrême-droite a repris le dessin et s'est fait condamner. Charlie pas et C. Fourest trouve ça logique.

Il faut, selon elle (et bien d'autres), considérer l'intention et le contexte et donc le lieu de publication est important. Donc, si je comprends bien, si ce lieu est à gauche, pas de problème, à droite c'est la condamnation.

Et s'il est au centre ? Une demi-peine ?

Le raisonnement est faux (et si on l'appliquait au viol ?), l'insécurité juridique est totale et donc, à ce compte, mieux vaut se taire.

La position de C. Fourest sur l'incitation à la haine est de même type. Pour elle, les blasphèmes de Charlie Hebdo sont normaux, ceux de Dieudonné pas.

La polémiste a en l'espèce recours aux subterfuges habituels quant aux lois sur l'incitation à la haine et les lois mémorielles : "...elles ne donnent lieu qu'à de très rares condamnations" et, mieux, "Personne ne prétend qu'elles peuvent tout résoudre ni se substituer au débat".

Deux mensonges en trois lignes. Elle trouve normale la condamnation de Zemmour pour avoir dit que des immigrés étaient normalement plus contrôlés parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes.

Il n'avait pourtant pas dit que tous les noirs et tous les arabes étaient des trafiquants, seule proposition cohérente avec la logique de condamnation de C. Fourest...

Et pour conclure, une pirouette : on peut rire de la violence mais pas avec la violence, dit-elle. C'est juste une formule rhétorique, bien symétrique, mais je n'y vois pas la justification de la deuxième partie.

 

Federbusch et la récupération du 11 janvier

 

Avec Serge Federbusch et La Marche des lemmings (4), ouvrage publié également en mai 2015, on est dans un autre registre même si C. Fourest et lui adoptent parfois le même stéréotype, comme l'interdiction du voile sur la voie publique comme unique pierre de touche de la laïcité.

Serge Federbusch est énarque, a été magistrat avant de s'orienter vers des activités de type commercial. Il est étiqueté "conservateur libertarien" (5), catégorie rare en Europe mais pas aux Etats-Unis où le plus connu de ses représentants est le sénateur Rand Paul, un moment candidat aux primaires répubicaines de cette année.

Le terme désigne une droite très méfiante à l'égard de l'Etat (on parle parfois d'anarchistes de droite) mais S. Federbusch a créé un parti politique, le Mouvement pour la Gauche moderne, dont il est l'élu comme conseiller d'une mairie d'arrondissement parisienne. Ceci pourrait le faire prendre pour un hollandais mais il est un des plus grands adversaires du Président français, qu'il appelle l'enfumeur, titre du livre qu'il lui a consacré. Il n'est pas précisément un inconditionnel de Charlie Hebdo.

 

Sa première cible est la manifestation du 11 janvier, pure mise en scène élyséenne pour lui. De fait, il est quand même étonnant de voir la docilité de la presse face aux mises en scène.

Elle a publié sans broncher les photos qui laissent croire que les personnalités ont défilé en tête des simples manifestants. Point du tout. On les a mises sur un bout du boulevard Voltaire, très à l'écart des manifestants, les photographes ont fait les cadrages voulus, tout le monde est vite rentré... et nul n'a pipé mot de l'affaire.

Outre le curriculum discutable de bien des personnalités en matière de liberté d'expression, S. Federbusch, relève, lui, la contradiction entre le but proclamé de la manifestation, la défense de la liberté d'expression, même pour Charlie, et les procès innombrables suivis de lourdes condamnations à des mois de prison ferme intentés à ceux qui ont dit ne pas être Charlie (assez souvent des ivrognes et des dérangés mentaux) en y trouvant une bien étrange vision de la liberté.

Deux poids, deux mesures, n'en déplaise à C. Fourest.

Le but est la propagande de François Hollande. Accessoirement, il faut empêcher qu'on ne se pose trop de questions sur les dérisoires mesures de sécurité qui entouraient les locaux de Charlie Hebdo, une cible autrement et précisément désignée (Charb était dans la liste des dix personnes à abattre prioritairement d'Al-Quaïda) qu'une station de métro comme il y en a tant, une salle de spectacles, sans garde extérieur permanent, avec un contrôle des entrées enfantin. Tant qu'à parler de défaillances belges en matière de sécurité...

La thèse principale de Federbusch rejoint la mise en cause de la gauche communautariste de Fourest mais Federbusch est argumenté politiquement de manière réelle, précise et incisive.

 

L'échec du multiculturalisme et son masque

 

Le vrai but de la manifestation, selon S. Federbusch, c'est de masquer la mise en échec et mat de la politique multiculturaliste du PS français et de détourner l'attention vers l'extrême-droite en postulant que son racisme est la cause des attentats.

La gauche, la majorité des médias et le gouvernement ont "gravement sous-estimé ou au moins banalisé le danger du terrorisme musulman, qualifié par commodité d'islamiste", dénonce l'analyste.

 

Le gouvernement français a d'abord voulu tout faire pour réfuter le lien entre islam et terreur. C'est le fameux mantra (le terme est de moi) : pas d'amalgame !

Comme nul ne peut soutenir qu'effectivement la plus grande partie des musulmans est djihadiste et que le risque de pogrom à leur encontre n'est pas nul (je le croirais sous-estimé), la position du gouvernement peut sembler honorable et respectueuse de chacun.

Mais il faut aller plus loin. S. Federbusch expose que, dès les années 1950, deux groupes cherchent à faire entrer une immigration africaine ou maghrébine.

 

Le premier, le patronat, a besoin d'une main d'oeuvre abondante, peu chère et non-syndicalisée. Ce n'est pas forcément bien reçu à gauche et on dispose d'une assez longue déclaration de Georges Marchais en janvier 1981, que Federbusch est allé rechercher, qui réclame l'arrêt de l'immigration : "la cote d'alerte est atteinte... la charge d'aide sociale nécessaire... devient insupportable pour le budget des communes".

Mais le vent finit par tourner et rapidement des élus de gauche, c'est le second groupe, comprennent que les immigrés constituent une clientèle électorale indispensable. Federbusch rapporte un texte, un peu tardif il est vrai, d'un think tank proche du PS français en vue des élections de 2012. Il y est dit assez platement que "Les ouvriers votent de moins en moins à gauche... la France de la diversité est presqu'intégralement à gauche". De fait, des sondages montrent que 93 % des musulmans pratiquants ont voté Hollande au deuxième tour des élections présidentielles et 59 % dès le premier (4 % pour Sarkozy). Sur deux millions d'électeurs, conclut Federbusch, cela a suffi à assurer la majorité à Fr. Hollande.

 

Plus curieux, le 26 février 2015, après l'attentat, un communiqué du PS en appelle au "développement de l'enseignement privé confessionnel musulman".

Vous avez dit loi de 1905 ? D'habitude en France, personne n'avoue que ce n'est qu'un grigri.

Bien évidemment chacun reconnaît aisément ici la situation du PS bruxellois. Philippe Moureaux n'est pas un martien (6). Les conséquences de la stratégie multiculturaliste peuvent surprendre tant elles peuvent être extrêmes. Deux envoyés spéciaux d'un hebdomadaire français après les attentats du 22 mars n'en croient pas leurs yeux quand ils découvrent qu'un authentique salafiste, fondateur d'une école coranique, est conseiller communal socialiste à Schaebeek (7). Ils ne devraient peut-être pas s'étonner si facilement : en banlieue parisienne aussi on peut trouver un cadre local du Front de gauche, responsable d'un service municipal par favoritisme ou clientélisme, qui a été condamné à six mois de prison pour avoir voulu égorger un voisin.

Il était porteur au moment des faits d'un bonnet siglé Daech et son domicile était plein de drapeaux de cette organisation (8) !

Sur la question du transfert de responsabilté vers l'extrême-droite, S. Federbusch a épinglé quelques textes révélateurs.

Dès le 8 janvier, Libération, qui est plus Charlie que Charlie, publie une tribune d'un avocat ami du journal, Nicolas Gardères, qui est des plus nets : "L'attentat contre Charlie Hebdo a la sale gueule de Renaud Camus, d'Eric Zemmour et de Marine Le Pen".

Le même jour, sur France Culture, le directeur du Monde des livres, Jean Birnbaum, parle de Soumission de Houellebecq et de l'attentat de la veille et déclare : "Cela n'a rien à voir, bien sûr, mais tout le monde l'a pensé, je l'ai pensé...".

Ni honnête ni courageux.

 

Ne pas exonérer l'islam

 

Sans se contourner, S. Federbusch refuse d'exonérer l'islam de toute responsabilité. Sans contester l'évidence, à savoir que le Coran, comme l'Ancien Testament, contient tout et son contraire, il voit bien que les musulmans utilisent de plus en plus largement les sourates assassines et spécialement celles qui enjoignent à la soumission de toute l'humanité à un califat mondial.

Depuis dix siècles le dogme musulman est fossilisé.

 

Pour ma part, je vois bien que, dans les Etats majoritairement musulmans qui ont pris ou repris leur indépendance depuis cinquante ou soixante ans, il était seul disponible pour des dictateurs qui, après avoir liquidé physiquement les forces laïques, devaient faire oublier leur gestion catastrophique et trouver de nouveaux alliés.

 

Quant au contre-argument fondé sur l'excuse de la misère des immigrés, S. Federbusch renchérit sur C. Fourest : que pouvaient faire de plus pour eux les pays scandinaves ? Ca n'a servi à rien, le Danemark est une des cibles les plus recherchées des djihadistes, caricatures obligent.

Les Pays-Bas ont aussi été généreux et ouverts dans une véritable ambiance multiculturelle (évidemment remise en question) et Theo van Gogh y a été assassiné en 2004 par un musulman qui a bien pris soin de dire que son acte n'avait d'autre raison que religieuse.

 

Salafisme et wahabisme ont bien à voir avec la relgion musulmane, conclut Federbusch. Celle-ci n'a pas connu les Lumières, les militants de la laïcité qui ont forcé les Eglises chrétiennes à composer, à accepter et à s'assagir.

Pour Federbusch, toute politique de conciliation relèverait de la "dhimmicratie", mais avec un renversement puisque ceux qui ne seraient plus que des citoyens de seconde zone seraient la majorité.

Devenue plus nombreuse en Europe, la minorité musulmane cherche à nous imposer quelque chose par la force, à pouvoir vivre à sa seule convenance, à avoir le droit de tyranniser ses fidèles et à interdire toute critique aux non-musulmans.

S. Federbusch est plus cohérent que C. Fourest. Il voit bien que la gauche est acculée à défendre l'idée d'une séparation étanche entre islam et islamisme et à clamer sans cesse "Pas d'amalgame !" pour défendre ce qu'il appelle l'utopie du "vivre ensemble".

Celle-ci nous conduit à la fin des libertés.

S. Federbusch relève 400 lois de restriction de la liberté en France en quelques années. Elles n'ont pas empêché discriminations et violences, qui sont allées croissant.

 

Que conclure ? Hélas, avec Federbusch, il faut voir que l'attentat du 7 janvier n'a servi à régler aucun problème, surtout pas celui du blasphème qui, à mon sens, a pâti de l'événement : on est pour un principe, proclamé bien haut mais après l'avoir dévitalisé.

 

L'autocensure, c'est souvent bien humain (mais je ne pardonne pas plus à Philippe Geluck que ne le fait C. Fourest), progresse sans cesse. L'évolution s'est constatée d'emblée comme le remarque S. Federbusch.

La couverture du premier numéro de Charlie Hebdo après l'attentat avec les mots "Tout est pardonné" est bien étrange, bien conciliante. Les attentats suivants, bien plus meurtriers mais bien plus anonymes dans leurs cibles, ne me paraissent pas avoir servi à davantage, sauf sans doute pour la chasse aux djihadistes, mais l'optique policière peut-elle autre chose que de tondre la pelouse ?

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(1) Le choix des mots est difficile. Comme la BBC, j'évite "terroriste", qui facilite l'incompréhension et renvoie un peu vite à la dichotomie "quelques méchants islamistes/ une marée de gentils musulmans".

(2) Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse, Paris, Seuil, 2015, 252 pages.

(3) Caroline Fourest, Eloge du blasphème, Paris, Grasset, 2015, 181 pages. Prix : +/- 19,05 €.

(4) Serge Federbusch, La Marche des lemmings, Ixelles Editions, 2015, 180 pages. Prix : +/-12,90 €.

(5) C'est ce que dit Henri Astier, "De quoi Charlie est-il le nom?", Books, N° 71 (décembre 2015), pp. 65-69.

(6) Comme président de Bruxelles Laïque, j'ai été confronté vers 1990 à l'état du PS avant la mutation en constatant la résistance tenace des laïques socialistes de Molenbeek quand j'ai voulu aborder la nécessité de parler de laïcité aux immigrés d'origine musulmane.

(7) Mathias Destal et Patricia Neves, Dans les rues du Belgistan, Marianne (25 au 31 mars 2016, pp. 16-21.

(8) Didier Daeninckx, Le sentiment d'être pris en étau, Le Monde du 23 mars 2016.

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On ne sait qu'inventer...

Patrice Dartevelle

 

La liberté d'expression a toujours fait problème. Certains groupes s'en soucient plus que d'autres (je veux dire dans le bon sens du terme, pas celui de ceux qui veulent la supprimer).

C'est par exemple le cas des journalistes qui y sont régulièrement confrontés et qui en outre sont soucieux d'un aspect particulier et des plus importants, la protection des sources.

 

La question des artistes

 

Un autre groupe manifeste depuis longtemps une sensibilité particulière, celui des écrivains, des artistes (au sens large : plasticiens, cinéastes, ...).

De fait, les cours et tribunaux se sont souvent montrés un peu plus accommodants avec cette catégorie qu'avec d'autres, qui ne pouvaient se réclamer de l'art. Sans doute y a-t-il là de la part des juges un sentiment - qui les honore - de l'importance, de la singularité de l'art, de son caractère éventuellement (et de plus en plus) novateur et précurseur mais aussi d'autres moins élevés, comme la crainte d'être ridiculisés par un artiste devenu célèbre et ridicules pour l'éternité, voire une complaisance due à une communauté d'appartenance sociale.

 

Devant les conflits et les restrictions continues à la liberté d'expression ces toutes dernières décennies, on a parfois pu rencontrer dans des conversations, conférences, colloques des artistes ou écrivains soutenant que les normes communes en la matière ne pouvaient s'appliquer à eux.

Une telle position ne me semble guère respectueuse de ceux qui ne sont pas célèbres ou n'ont pas vocation à le devenir contrairement à tout artiste qui se respecte qui souvent jusqu'à sa mort, nourrit la conviction qu'un jour, peut-être lointain, il sera "tout en haut de l'affiche", comme on dit en music-hall.

 

J'ai moi-même rencontré expressément et en public cette attitude, lors d'un colloque à la Maison du livre de Saint-Gilles, de la part d'un orateur de haut rang dans le domaine de la littérature, uniquement soucieux de défendre ses semblables, et parfaitement indigné de ma position libertaire universelle.

On ne se croyait cependant pas près d'arriver à donner une forme juridique à un pareil sentiment, fort éloigné de tout souci d'égalité. En France, les choses prennent pourtant corps en ce sens.

 

Une première jurisprudence

Ainsi le jugement du tribunal de grande instance de Metz rendu le 21 novembre 2013 (1) tente de formaliser un concept nouveau, celui de liberté de création. Examinons l'affaire.

Après un échec au plan pénal, une association catholique fondamentaliste, l'Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne) a intenté un procès au Frac Lorraine (Fonds régional d'art contemporain, institution publique qui, dans chaque région de France a pour missions essentielles l'acquisition, la conservation et la mise en valeur des oeuvres des artistes en activité).

Le plaignant visait une oeuvre de l'artiste Eric Pougeau, présentée en 2008 dans le cadre de l'exposition "Infamille : you are my mirror 1" dans les locaux du Frac Lorraine. Elle est constituée d'environ vingt lettres, selon un schéma construit autour de deux séquences, "Les enfants, nous allons..." et "Vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman", déclinées avec des formules comme "vous défoncer le crâne à coups de marteau" ou "faire de vous nos putes".

Disons, sur base de la courte description disponible, qu'on peut y voir perversité et violence (verbale).

Le Frac Lorraine perd le procès et est condamné à un euro de préjudice mais pour la seule raison qu'il n'y avait pas, à l'entrée de l'exposition, un panneau interdisant l'accès aux mineurs.

 

Mais pour l'essentiel, l'argumentation de l'Agrif est démontée par le tribunal qui estime qu'il faut appliquer dans ce cas le principe de la liberté de création, "plus large que celui de la liberté d'expression, en ce sens que, par définition, elle nécessite une liberté accrue de l'auteur qui peut s'exprimer tant sur des thèmes consensuels que sur des sujets qui heurtent, choquent, déplaisent ou inquiètent".

Ces derniers mots sont évidemment un retravail de la formule de la Cour européenne des droits de l'homme, dans son fameux arrêt dit "Handyside" qui, en 1976, avait indirectement condamné toutes les lois réprimant le blasphème, jusqu'au moment où, en 1994 et 1995, la même Cour a renversé sa jurisprudence.

Faut-il être retors pour déduire du jugement messin qu'au regard du tribunal, le commun des mortels n'a plus accès aux sujets qui choquent ?

 

En fait cette liberté de création cadre bien avec un sentiment d'exceptionnalité de plus en plus prégnant chez les écrivains et les artistes. Si ces derniers s'appellent de moins en moins dans leur milieu "artistes" mais plutôt "créateurs", c'est qu'on se rapproche du divin.

Il y a toujours eu, à toutes les époques, des artistes fortement auto-centrés mais un personnage de gourou autoritaire comme celui d'André Breton pour le mouvement surréaliste était en son temps assez neuf. Il a manifestement fait pas mal d'émules.

 

La nouvelle loi française

 

Mais voilà que l'affaire se corse, c'est-à-dire prend forme juridique assurée. En octobre 2015, l'Assemblée nationale française a adopté le projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine dont l'article premier déclare triomphalement que "la création artistique est libre".

Le texte doit être examiné par le Sénat à la fin du mois de mai 2016. La plus connue des sociologues de l'art en France, Nathalie Heinich, directrice de recherche au CNRS, en a fait la critique récemment en mêlant de justes observations et une philosophie fort contestable à mes yeux (2).

En fait la liberté de création n'est pas en cause en Europe tant que personne n'entre dans l'atelier de l'artiste ou que son manuscrit ne quitte pas son tiroir.

 

La question, c'est la liberté d'expression, dit-elle justement. Et à mon sens, en cas de procès et de recours devant la Cour constitutionnelle, la bataille juridique risque d'être serrée : la loi peut-elle créer une liberté aux dépens d'une autre, la liberté d'expression devenant implicitement une liberté restreinte et de second ordre ?

 

La raison invoquée pour le nouveau dispositif n'est pas théoriquement fausse : le nombre de procès intentés à des artistes va croissant et leurs initiateurs sont nouveaux, les procureurs interviennent rarement en premier comme autrefois et ils ont laissé la place aux associations de toutes espèces : associations religieuses intégristes et associations anti-racistes essentiellement.

 

Pour Nathalie Heinich, la réalité est à l' inverse du motif invoqué : pour elle c'est l'intolérance croissante à la censure qui est la source de la loi.

Sur ce plan, je me différencie d'elle : elle redoute que la justice soit à terme dépourvue de moyens d'action contre des oeuvres incitant à la haine raciale ou la pédophilie, du moins quand l'art ou la littérature en sont le support.

 

On ne saurait exprimer plus benoîtement le moralisme croissant et ambiant : il n'y a pas si longtemps l'idée que l'art et la littérature doivent être "moraux", c'est-à-dire conformes à la morale du lieu et du temps aurait fait bondir. Je crois même qu'on citait des oeuvres qui avaient permis de mettre fin à des tabous...

 

Aujourd'hui on - pas seulement les artistes - ploie sous les procès, souvent malveillants et intentés dans le but principal et suffisant de traîner quelqu'un dans la boue.

Bien évidemment celui qui le peut, comme les artistes et les écrivains, cherche à se défendre même si c'est tant pis pour les autres.

 

Néanmoins la conclusion de N. Heinich reste d'une certaine manière pertinente : "...quelle autre catégorie sociale pourrait en faire l'objet (de la question "La censure est-elle toujours illégitime?) sans susciter la stupéfaction dans une société démocratique qui a aboli depuis plus de deux siècles les privilèges aristocratiques "

 

Cohérente avec elle-même, N. Heinich va d'ailleurs par la suite persévérer en protestant contre le film Les salafistes parce qu'il montre les horreurs commises par ceux-ci et que vouloir par là les dénoncer ne lui semble pas une raison suffisante.

Elle s'exclame : "L'image est-elle sacrée au point que sa diffusion serait justifiée quelle qu'elle soit et quelles que soient les circonstances ?". Plus dangereux encore : "Les pamphlets antisémites de Céline sont peut-être des "chefs-d'oeuvres", ils n'en sont pas moins abjects. Et je n'ai pas besoin de les lire pour le savoir"(3).

 

Si même une directrice de recherche au CNRS juge sans lire et essayer de comprendre, nous sommes vraiment loin... Je ne suis pas sûr que la comparaison avec Céline soit adéquate.

De toute manière, je pense, à l'inverse de N. Heinich, que la plus grande liberté d'expression doit valoir pour tous et ne la rejoins que sur le refus de constituer en toute légalité une ou plusieurs catégories privilégiées.

 

Internet ou l'enjeu caché

 

L'affaire est plus grave qu'on le pense si on la place dans le cadre du débat sur l'application pure et simple à Internet des textes juridiques en vigueur sur la liberté d'expression.    Sans même parler des problèmes posés par les fournisseurs d'accès qui imposent leurs propres normes morales ou politiques à tout contenu, l'affaire est en discussion.

 

Ainsi, par un arrêt du 5 mai 2011, la Cour européenne des droits de l'homme a contesté, dans une affaire ukrainienne, le fait que sur Internet un journaliste dispose du même droit de reproduire des propos illicites, pris eux-mêmes sur Internet, alors que ce droit n'est pas contesté pour les imprimés (4).

Plusieurs affaires d'enjeux comparables sont actuellement pendantes tant devant la Cour suprême américaine que devant la Cour de Strasbourg (5).

A l'évidence, d'aucuns redoutent d'abord et explicitement qu'Internet n'offre une caisse de résonance sans commune mesure avec l'imprimé ou le film.

Cette possibilité existe comme elle a existé au moment de la découverte de l'imprimerie, qui a multiplié techniquement et économiquement la diffusion des textes et informations.

La motivation véritable mais plus discrète que celle des risques de la diffusion plus large n'est-elle pas autre ?

Le problème n'est-il pas que devant l'accroissement des possibilités de prise de parole de tout un chacun grâce à Internet, certains sont "troublés" par la fin de la situation traditionnelle dans laquelle, pour l'essentiel, la liberté d'expression n'était utilisée que par ceux dont les textes et les images pouvaient être imprimés et les oeuvres montrées en public, c'est-à-dire une minorité privilégiée à divers titres et souvent contrôlable par les éditeurs, les institutions spécialisées ou leurs commanditaires ?

 

Voilà la réalité qui se cache hypocritement à travers deux phénomènes en apparence bien éloignés.

 

La liberté d'expression fait toujours peur et, pour la réduire, on ne sait qu'inventer, comme disait (à tout propos) ma grand-mère.

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(1) Alexis Fournol, La frac Lorraine condamnée à un euro symbolique, Le Journal des Arts, N° 403 (13/12/2013 - 01/01/2014), p. 5.

(2) Nathalie Heinich, Censure : de la transgression à l'intolérance, Espace de Libertés, N° 444 (décembre 2015),pp. 36-38.

(3) Nathalie Heinich, Pourquoi je n'irai pas voir "Salafistes", Le Monde des 7-8/02/2016.

(4) Quentin Van Enis, Avatars de la liberté d'expression dans l'univers numérique, Actes du colloque La liberté d'expression. Menacée ou menaçante ?, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2015, pp. 141-169 et spécialement pp. 146-147.

(5) András Sajó, Is Freedom of Expression Sustainable in a World of Sensitivities ?, Actes du colloque La liberté d'expression. Menacée ou menaçante ?,pp. 269-278.