Bulletin Numéro 41 - Siné n’a pas dérapé
SINÉ N’A PAS DERAPÉ
La chronique de Siné dans Charlie-Hebdo du 2 juillet est une bien curieuse affaire.
Il y publie un texte basé sur une information qui va se révéler fausse, mais qui est puisée aux meilleures sources.
Voyons le texte exact :
" Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général UMP est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter ». Le parquet (encore lui !) a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe !
Ce n’est pas tout : [Jean Sarkozy] vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de Darty.
Il fera du chemin dans la vie ce petit ».
Et le directeur de la publication de licencier l’octogénaire Siné.
Par un côté, l’affaire n’appelle que peu de commentaires. Contrairement à ce qu’on croit trop rapidement, la question de la liberté d’expression vise d’abord les responsables de publication. Tous, à un moment ou à un autre, ont opposé des refus de publication et il n’y a nul lieu de s’en inquiéter, sauf s’ils le font par crainte des sanctions pénales.
Ici le responsable de publication a laissé publier. Il n’a probablement pas lu le texte, mais c’est tant pis pour lui.
Dans ce cas, s’il y a eu problème, il faut assumer. Rien de pareil dans Charlie-Hebdo, ce qui est déjà spécial.
Le directeur de Charlie-Hebdo, Philippe Val, a pris une décision en voyant de l’antisémitisme dans le texte que je viens de citer et tout comme l’explique Bernard-Henri Levy dans un grand article publié dans Le Monde (du 22 juillet 2008), et c’est bien là le problème, Siné aurait « dérapé ».
J’avoue qu’à moins d’interdire toute mention négative du terme « juif », j’ai du mal à suivre Val et BHL.
En quoi ne pourrait-on se moquer, y compris avec tous les sous-entendus possibles, de la conversion de quelqu’un au judaïsme au moment où il vient de convoler avec une personne de cette confession et de surcroît richissime ?
Siné n’insiste même pas sur les origines des Sarkozy, juifs et puis catholiques.
Mais Siné aurait invoqué un « judaïsme tout-puissant ».
Il a surtout invoqué la toute-puissance de l’argent et dit qu’in casu, elle provenait d’une famille qui se disait juive.
Bernard-Henri Levy glose sur la distinction à faire entre la critique voltairienne des religions et l’antisémitisme. Il déclare admettre le principe, mais immédiatement, il cherche à faire ici la distinction avec la critique de la religion.
Je ne vois pas là le problème, avec la meilleure volonté du monde : il est permis et même à mes yeux souhaitable de se moquer de qui change de religion pour une raison d’opportunité, de surcroît particulièrement argentée, même dans le cas du judaïsme.
Caroline Fourest (Le Monde du 12 septembre 2008) est bien obligée d’admettre que rire de quelqu’un qui se convertit au judaïsme pour aller loin dans la vie n’est pas irrévérencieux envers le religieux.
Petit problème : en quoi être irrévérencieux envers le religieux serait-il un crime ?
Plusieurs, dont C. Fourest, vont rechercher une (ils citent tous la même) déclaration de Siné contre les juifs en 1982.
Il approuve manifestement les attentats contre les juifs.
On peut être évidemment d’un avis inverse mais peut-on délégitimer la lutte violente des Palestiniens contre les Israéliens ? Quand on a chassé un peuple de sa terre, il faut à tout le moins s’attendre à des mécontentements.Que le problème soit plus épineux est une position que je soutiens, tout à fait possible et sûrement soucieuse de l’histoire.
Mais le fait n’est pas là : la déclaration critiquée date de 1982, pas de 2008. Elle a été suivie de bien d’autres déclarations hostiles à Israël, mais en quoi est-ce un problème ?
Choisir le moment où Siné s’en prend au fils du Président de la République est en outre bien particulier.
Nul ne comprend la stratégie de Nicolas Sarkozy en la matière : tantôt il attaque la justice pour la fabrication d’une poupée vaudou, mais l’hebdomadaire créé par Siné après sa séparation avec Charlie-Hebdo contient régulièrement des bandes dessinées cruelles pour le fils du président et la complaisance supposée de celui-ci à son égard sans qu’il n’y ait d’action en justice.
Reste donc le crime de lèse-Israël… qui ne peut en être un.
Patrice Dartevelle