Bulletin 69 juin 2021 - La religion, un réseau social comme les autres ?
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Bulletin 69 juin 2021 |
Pour la liberté des réseaux sociaux |
La religion, un réseau social comme les autres ? |
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Marc Scheerens
Pour qu’un orchestre joue ‘d’une seule âme’, le premier violon donne un ‘la’. Aussitôt chaque instrumentiste adapte son outil. S’ensuit un grand souffle harmonique : le chef-conducteur peut prendre sa place. C’est ce guide suprême qui fera produire des sentiments divers chez les auditeurs. Et ce qui est recherché serait l’approbation du plus grand nombre. Il arrive qu’une production de deux cents ans d’âge soit redécouverte dans sa profondeur parce que le rendu était innovant.
Cette image fonctionne si celui qui la contemple, la lit ou l’entend est sensible à cette expression culturelle. Cependant, tous peuvent constater que dans toutes les civilisations, une suite de bruits ou de mélopées ont été voulus pour faire résonner ce que les mots ne parviennent pas à saisir. Il parait même que l’écart mathématique entre nos sept notes correspond à l’écart (à une autre échelle) entre les planètes de notre système solaire. Les planètes tiennent l’une par l’autre comme nous tenons les uns des autres la quête d’un équilibre pacifiant : nous vibrons en harmonie avec plus grand que nous.
Pour suivre Malraux, existerait-il un besoin spirituel nécessaire à la survie de l’espèce ? Notre existence serait-elle contingente et fonction d’une harmonie partagée ? Cette harmonie désirée peut-elle intégrer les contraires, les positions antagonistes extrêmes ? Il apparait alors que le débat est indispensable pour construire un habitat humain collectif. Un piccolo ne s’entendra pas si les cuivres tonitruent. Seules les oreilles les plus attentives auront perçu ce son en apparence insignifiant qui contribue pourtant à l’équilibre de l’ensemble.
Si il est possible d’écrire et de proclamer que tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit et en dignité, force est de constater que ce principe universaliste n’est pas la réalité expérimentée par tous les humains. Cette harmonie n’est pas pour demain. Faut-il pour autant imaginer un heureux Grand Soir qui suivrait une remise en ordre générale parce que toutes et tous obéiraient enfin aux injonctions d’un Guide Suprême ?
Il n’est pas de Guide qui fasse l’unanimité. Le désir d’être heureux existe. Les dysharmonies aussi. Certains surfent sur ce besoin, cette nécessité d’un mieux-être partagé, mais se heurtent aux limites des différences. Faut-il de ce fait requérir une impulsion venue d’ailleurs, de plus haut, de plus loin, ressentie par tous uniformément, incontestable, qui serait Dieu ?
Délivrons-nous de Dieu
Oui et non !
Le mot Dieu a connu bien des utilisations. S’il était quelqu’un, ce quelqu’un semble se complaire dans le fait d’être manipulé. Combien de guerre ont été faites en son nom, alors qu’il serait la base de l’harmonie universelle ! « La distinction entre une parole acceptable et une qui ne l’est pas dépend de ses effets » avions-nous lu ci-dessus. La poète chrétien Jean Debruyne blasphéma (si c’était possible) librement et consciemment en écrivant : « Heureusement qu’il y a la guerre, la faim des autres, la misère des autres sinon comment te prierions-nous Seigneur !». Il y aurait donc un recours à Dieu, un usage du mot qui serait pervers. Cet usage conduirait à un véritable assujettissement, à une relation codifiée qui serait la seule permise. Croire Dieu en libre penseur semble une menace pour ceux qui sont les adeptes de la pensée unique salvatrice universelle. Ainsi, bien des potentats dans l’Histoire ont revendiqué pour eux-mêmes et leurs séides d’être seuls à connaître ce qui pouvait en être dit utilement pour leur projet. Il n’y a pas si longtemps qu’un écrivain catholique devait requérir un ‘Nihil Obstat’ pour être publié. La censure vaticane, face à l’imprimerie en libre accès (hors des copistes des abbayes), a réagi inquisitorialement et a fixé des codes intangibles : la libre expression d’une quête était un risque que l’Institution ne voulait pas courir. Le même muselage de la pensée existe dans d’autres courants religieux monothéistes (ou pas). Ce qui prévaut dans ces réactions d’autorité c’est l’idée que l’on se fait du pouvoir. Le pouvoir n’admet pas la contradiction. Un peuple se forme et s’étend à partir d’un point de départ idéologique. Il croit fermement avoir raison sur la bonne conduite et par les armes l’impose au pays conquis. Un pouvoir unique demande une pensée unique. La pensée unique est d’autant plus facilement imposable si elle est d’origine divine : « Il n’y a point d’autorité qui ne viennent de Dieu et celles qui existent sont voulues par Dieu » (Epître aux romains 13). Le Dieu unique est le seul ‘omnipotens’, celui qui voit tout, qui sait tout, qui peut tout selon la conception de l’univers alors en vigueur. Il délègue à l’un ou l’autre élu la fonction de le représenter. C’est le Dieu de l’Olympe qui se rie de l’Humain et de sa fragilité mais le tient à sa dévotion par le péril de la foudre. Les adeptes d’un pouvoir fort, qu’ils détiennent, ont construit cette image à partir des conceptions de l’espace terre/ciel qui avaient cours. Cette conception d’un Dieu à l’image des besoins des décideurs sert encore aujourd’hui pour définir le permis et le défendu qu’une autorité suprême et divinisé (donc intouchable) tolère.
Or le bon sens nous livre que ce qui se veut intangible est condamné à disparaitre. La survie est dans l’évolution et il n’y a pas dévolution sans transgression. Comme réseau social, avec la fonction voulue d’harmoniser les relations, une religion devrait pouvoir infirmer aujourd’hui ce qu’elle affirmait hier de ‘source sûr’ simplement parce que la connaissance de la source a changé. Je ne connais pas une religion monothéiste qui affirmerait aujourd’hui que la terre n’est pas sphérique. Certaines certitudes scientifiques sont acceptées et d’autre pas. Aujourd’hui qu’il est possible de se déplacer haut dans les airs, ce n’est pas gênant de concevoir que la terre est une des sept boules qui gravitent autour d’un soleil lointain. Mais en même temps, il semble impossible à certains de faire évoluer les rôles et les fonctions attribuées aux unes et aux autres suivant qu’ils soient nés avec l’un ou l’autre sexe, de l’un ou l’autre milieu social, sur l’un ou l’autre continent. Il y aurait là des prédéfinis d’origine divine. Dans un commentaire papal du XIXème siècle, pouvait se lire : ‘Que le pauvre se satisfasse de la condition où Dieu l’a mis et que le riche se sanctifie par l’aumône’. Ainsi l’équilibre dans la répartition des charges, voulu par Dieu, serait maintenu. Il est parfaitement compréhensible que les plus insatisfaits crient ‘A bas les calotins’. Mais aurait-il existé un courant fort pour censurer les propos papal en les considérant comme un incitant à la haine et à la lutte des classes ? Revendiquant sa spécificité et ses certitudes qui font le croyant (ou l’adepte inconditionnel), un ‘réseau religieux social’ veut garder le droit de dire ce qu’il pense comme il le pense et de l’imposer.
S’il fallait appliquer aux religions les règles que certains tentent de mettre en place pour ‘civiliser et policer’ les réseaux sociaux ‘ordinaires’ beaucoup de religieux intransigeants n’auraient plus droit de parler librement. Et pourtant, certaines de leurs expressions dogmatiques n’ont-elles pas des effets pervers ? Ce qu’il faut, ce qui est indispensable à tous et universellement c’est la culture du débat. La culture du débat est l’art de se laisser surprendre par la parole de l’autre. Elle permet de s’écarter d’un attachement crispé (et institutionnel) à une façon de voir ou de concevoir. Il est tout à fait décent de dire ‘non !’ au Dieu des puissants, une invention humaine. S’il n’existe pas, se crée un vide dans la pensée. La nature a horreur du vide et cherchera à la combler. Certains croiront qu’il existe autrement, comme une connaissance amicale inconnue (théologie ‘apophatique’ voire agnostique). Certains autres voudront occuper le vide… comme certains meneurs des réseaux sociaux.
Pouvoir dire ou faire taire
L’actualité nous a montré qu’il est possible de gagner une élection par le moyen dit moderne des médias, tout autant dits sociaux, en caressant dans le sens du poil les frustrés. L’idée qu’une Amérique blanche a un fondement messianique a légitimé bien des pratiques d’exclusion ou d’esclavage. Quand elle vient à disparaitre parce que les ‘importés de couleur ou même natifs’ deviennent plus nombreux que les anciens dirigeants tout puissants, certains le vivent comme une perte de sens. Entendre cette perte de sens et l’alimenter par des promesses infondées, user de toute forme de mensonges pour agréger les frustrer, permet à l’indélicat Mr Trump de gagner le pouvoir en se faisant même passer faussement pour un républicain. Il s’est fait le levier du suprématisme. Il n’est pourtant membre d’aucun parti historique sinon le sien.
Noah Ariri (in ‘Home deus’ – 2015) prévient : que sera le monde de demain lorsque les mythes collectifs tels que les dieux, l’argent, la liberté, l’égalité s’allieront de nouvelles technologies démiurges ? Que sera le monde quand des algorithmes, de plus en plus intelligents, pourront se passer de notre pouvoir de décision ? S’il n’y a plus d’instance ‘neutre’ qui nous tire vers le haut, vers l’empathie, vers la solidarité quel serait le risque encouru ?
Si l’assujettissement aux prédicats religieux n’est pas la meilleure solution, abdiquer devant le nouveau pouvoir des machines qui pensent le meilleur à notre place n’est pas non plus l’idéal à atteindre. D’abord parce que cela restera le privilège des nantis, ensuite parce que le besoin de penser et de débattre à égalité est une nécessité vitale. Cette période COVID a permis que tous acceptent sans rechigner que l’art et la culture étaient des non-essentiels ! Il fallait sauver le travail et la production. Le travail est la valeur à sauvegarder parce qu’il donne l’argent et que l’argent amassé donne la liberté d’agir à sa guise. Beaucoup ressentent cette norme sociale comme un besoin. Comme tout travail est fatiguant, il donne aussi droit à des vacances (un vide) le plus souvent loin de chez soi.
Est-ce qu’il n’y aurait pas là comme un nouveau culte, le culte d’un système qui comporte autant de codes à respecter que les religions que l’on ne veut plus pratiquer ? Où est la sortie ?
Comment, dans ce monde ‘nouveau’, maintenir la liberté de penser et l’autonomie personnelle ? Sans doute par l’éducation. Il ne s’agit donc pas de taire faire les résistants mais d’apprendre un discours cohérent et édifiant. A quoi sert-il d’estimer ‘penser juste’ si personne ne peut être d’accord ? Affirmer que le vaccin inocule une micro puce de surveillance relève de quelle peur, de quel phantasme ? N’est-ce pas le signe visible qu’une partie de la société est en errance ? Quelles seraient les informations qui manquent pour que chacun puisse se sentir maître de son destin quand il est face à une technologie développée à son insu ? Est-ce que les décideurs actuels sont capables de les transmettre en prenant le risque d’avoir, contre eux ou avec eux, un grand nombre de personnes instruites ? Il y aurait là comme un dilemme : avoir le savoir c’est avoir le pouvoir. Une perte de savoir impliquerait une perte de pouvoir alors que cette perte de pouvoir favoriserait le développement plus harmonieux de la personne. Quel est le risque de répandre le plus largement possible la faculté de construire un discours équilibré sur le sens de la vie ou sur l’art de vivre en harmonie de façon partagée ? Si les réseaux sociaux paraissent si performants n’est-ce pas le signe d’un système d’éducation au rabais qui apprend la soumission plus que la critique raisonnée ? Leur pouvoir serait moindre si ceux qui les lisent avaient les moyens de les démonter. Interdiction à de petits avions de voler au-dessus du littoral avec une banderole publicitaire : un gain écologique ! S’envoyer en l’air à 80 km avec une fusée, est-il annoncé le même jour : un gain pour l’humanité. Chercher l’erreur et la dénoncer.
Nous avons déjà évoqué dans les périodiques précédents le danger du ‘lavage des mémoires’ qui ferait disparaitre des statues ou des monuments du mobilier urbain. Ce lavage ressemble à l’imposition ordonnée du civilement correct. Il existe à Etterbeek une statue d’un guerrier africain : le tireur à l’arc. C’est un instantané d’une époque : un chasseur à l’affut de la proie qui nourrira les siens. C’est bel et bien un hommage au chasseur. Seulement il est noir. S’il avait été blanc en évoquant le chasseur de la préhistoire de nos contrées ce serait resté comme un appel à la mémoire du passé. Parce qu’il est noir, il faudrait l’enlever. Je préférerais que nous fleurissions son efficacité.
Par une autre tendance du moment, nous allons donner raison à l’adage qui dit : ‘L’esclave copie toujours son maître’. Invention du mot féminicide simplement parce qu’une lecture erronée du mot ‘homicide’ laisse penser qu’il est parlé d’un homme (avec deux m) alors que ce mot dit la stricte égalité de faute en tuant un semblable (homoios). Tuer une personne de sexe féminin ne serait donc plus anéantir une semblable. Ce que ce mot supprimerait serait l’égalité de traitement de la faute commise. Pourtant, ‘un mâle est une femme d’un autre genre’ ! Légiférer en ce sens, en introduisant le mot dans le code judiciaire, sanctifie un néologisme, institue une nouvelle inégalité …jusqu’à ce que, plus tard, elle soit abolie par l’insertion du mot viricide. Et comment qualifier l’assassinat dans un couple LGBTQ ? Quand la culture vient à manquer, quand les bases de la compréhension historique des faits disparaissent, il existe un danger de créer de l’absurde par consentement.
Je pense aussi que parler d’intelligence artificielle est une erreur. Le mot intelligence évoque la possibilité d’une résonance, d’une lecture à l’intérieur de soi du sens à donner à un évènement extérieur. Il faudrait donc parler de déduction contrôlée mathématiquement. Comme je sais que je suis scruté par ce système dès que j’ai recours à des réseaux de communication ou d’information, il me suffit d’allier les contraires dans mes recherches et la machine qui m’ausculte y perd…son latin !
Cela n’arrête pas le ‘diktat’ des serveurs qui m’incitent, selon mes goûts leur semblent-ils, de m’envoyer des pubs en tous sens pour combler mes besoins. Quand j’agis en libre penseur chrétien, personne ne m’invite à acheter quoique ce soit, même pas le salut de mon âme.