Bulletin 67 septembre 2020 - Quand des scientifiques suppriment la réalité
Patrice Dartevelle
La pandémie de coronavirus a été l’occasion de voir renaître la querelle sur les statistiques ethniques, la récolte statistique de données touchant à l’origine ethnique.
C’est l’Université d’Oxford qui a lancé le pavé dans la mare en menant une vaste étude à propos du coronavirus sur 17 millions de britanniques qui prenait en compte leur origine ethnique. La conclusion en était que les personnes d’origine asiatique ou africaine couraient davantage de risques d’être contaminées. L’indication est bien utile, notamment pour orienter la politique sanitaire comme pour l’analyse des facteurs biologiques facilitant l’agression virale.
Que nenni! Des scientifiques que l’on aurait crus avides d’en savoir plus protestent.
Chez nous le sociologue de l’immigration Marco Martinello (Université de Liège) tranche de manière péremptoire : pas de statistique ethnique parce que « en science humaine, on m’a appris qu’il n’y avait qu’une seule race, la race humaine »[1]. C’est l’argument d’autorité dans sa splendeur.
Deux autres chercheurs, en sciences dites exactes, sont aussi nets. Jay S. Kaufman (Université McGill, Montréal) et Joanna Merckx (directrice des affaires médicales au laboratoire bioMérieux Canada Inc. et Université McGill) font une remarque pertinente : quand on constate des différences basées sur des critères ethniques, il faut se demander si le vrai moteur n’est pas autre, social par exemple, corrélé avec l’origine immigrée. Pour eux il est interdit de mettre en évidence un phénomène non en accord avec la biologie actuelle. Mais le critère ethnique peut d’une part mettre en évidence des différences qui seront ensuit interprétées et d’autre part des failles dans les données scientifiques actuelles (2).
Heureusement d’autres scientifiques sont plus mesurés, comme le sociologue Andrea Rea (ULB) et le médecin Yves Van Laethem (Hôpital Saint-Pierre à Bruxelles) qui considèrent l’un que « C’est important pour comprendre un phénomène social », l’autre que « ce genre de statistiques pourraient être intéressantes scientifiquement »[2].
En France, l’affaire a pris une tournure passionnelle. Hervé Le Bras, le démographe le plus en vue dans l’hexagone, est catégoriquement hostile à ces statistiques au nom d’un argument politique présenté sous forme morale : les statistiques ethniques aggraveraient le mal, c’est-à-dire les discriminations. Un autre argument vise le cas des personnes d’origine mixte, qui ne seraient pas catégorisables[3]. Donc tant pis pour la science; c’est l’argument de la bombe atomique, qu’il ne fallait pas développer même si c’était possible et peu importe qu’Hitler la possède seul ou en premier.
Pour se conformer aux pratiques nouvelles, les scientifiques s’insultent par grande presse interposée. H. Le Bras s’en prend en fait à une commission dont il n’était pas membre et dont il s’empresse de dire qu’ »elle comportait peu de spécialistes du sujet ». Le rapport de cette commission, publié en 2010, proposait de continuer d’autoriser l’utilisation de catégories ethniques ou raciales dans les travaux scientifiques. En Belgique aussi, c’est théoriquement possible mais, comme en France comme en Belgique, bien des chercheurs renoncent face au parcours du combattant de l’obtention de l’autorisation.
On voit bien chez H. Le Bras le poids de l’antiracisme vécu de manière militante et réductrice. Il a par exemple peur que l’on valorise « la crainte imaginaire d’un grand remplacement ». Soutenir que les vagues d’immigration sont organisées diaboliquement par quelques puissants, relève d’un évident complotisme. Mais ne s’agit-il pas surtout de masquer les simples faits qui font que le temps est loin où, face aux migrations, on disait que 2 ou 3% de migrants récents dans la population, ce n’était pas la mer à boire? On est aujourd’hui largement entre le double et le triple.
François Héran, professeur au Collège de France et responsable de la commission ciblée par H. Le Bras, répond à ce dernier que la crainte de briser « l’universalisme républicain », idée fort estimable mais qui n’a rien de scientifique, est sans objet, les quelques recherches effectuées sur base du critère ethnique n’ont rien provoqué de tel. Quant au problème posé par des individus d’origine mixte, les sociologues sont parfaitement capables de tenir compte de cette catégorie[4].
Les autorités universitaires devraient s’inspirer des remontrances adressées à ses journalistes par le nouveau directeur de la BBC, Tim Davie : Si vous voulez être éditorialistes ou faire une campagne partisane sur les réseaux sociaux, vous ne devriez pas travailler ici »[5].
(1) site rtbf.be , le 11 mai 2020.
(2) Jay S. Kaufman et Joanna Merckx « La réaction biologique au Covid-19 n’est pas une question d’appartenance raciale », Le Monde du 12 juin 2020.
(3) Hervé Le Bras, « Statistiques ethniques : au lieu de combattre le mal, on le renforce », Le Monde du 17 juin 2020.
(4) François Héran, « Cessons d’opposer les principes républicains à la statistique ethnique », Le Monde du 25 juin 2020.
(5) D’après T.C Avendano, « La BBC, contra la opinion en redes de sus periodistas », El Pais du 5 septembre 2020. Je traduis « columnista » par « éditorialiste », faut de mieux.