Bulletin 63-64 août 2019 - De l’écosocialisme à l’écotype* ?
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Bulletin 63-64 août 2019 |
Un plaidoyer pour la liberté mais... |
De l’écosocialisme à l’écotype* ? |
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Marc Scheerens
Alain Badiou (philosophe maoïste convaincu) questionne le sens des ‘Marches des jeunes pour le climat’. Que révèle cet évènement ? Que nous sommes gouvernés par des puissances qu’en réalité, nous ne contrôlons pas. La prédation capitaliste, qui se nourrit de la planète, nécessiterait, non que les jeunes s’adressent à elle pour renoncer à la prédation, mais qu’un mouvement politique raisonné et global la désinstalle. Quand survient un évènement, son analyse révélerait qui nous sommes.
N’y aurait-il pas, dans la mentalité ambiante en Occident, comme un déplacement du questionnement sur l’humain vers une idéalisation, une déification de la Nature ? L’homme, un animal (dominant) parmi d’autres, vivait mieux au naturel, avant que la technologie ne modifie le fonctionnement des espèces.
C’est le vieux mythe du paradis perdu, l’idéalisation (mentale) de ce qui n’a jamais existé. En adorant la Nature et en décriant la technologie qui l’apprivoise, ce qui est mis en danger c’est l’évolution, la progression, de l’ensemble du vivant vers un mieux-être. L’humanité va-t-elle perdre la Boule, qui la porte ? Cette boule, cette planète s’en moque : elle survivra même si l’humanité, qui ne l‘utilise que depuis 200.000 ans disparaissait. La jeunesse devrait se méfier, se questionner sur cette sorte de mythification (cf. le mythe du bon sauvage) et choisir un chemin plus politique. Quelle force opposer à la mondialisation de l’économie sinon la mondialisation d’une conscience ‘autre’ ? Celle-ci devrait viser à mettre au poste de commandement ce qui est commun à tous les humains et non plus ce qui est privatisé pour le profit de quelques-uns. Puisque les décideurs en place, de toute façon, n’ont aucune envie de changer la donne, manifester, en les interpelant, parce qu’on (qui ?) va perdre la terre, est-ce suffisant pour se donner ‘bonne conscience’, puisque cet acte donne légitimité aux décideurs ? La vraie question, celle qui ferait bouger les lignes, est, après analyse de la menace : « Pourquoi il ne se passe rien (ou si peu)? ».
Bruno Latour (sociologue) affirme que la crise écologique nous prive d’un monde commun. « Le monde moderne nous prive de notre capacité d’engendrement ». Ce qui se traduit par : « Comment va-t-on s’y prendre pour que le monde continue ? » Faut-il aller de l’avant (vers où ?) en ignorant les conséquences de nos actions ? Surtout quand une génération de jeunes dit aux anciens : « Nous sommes vos enfants et nous nous demandons s’il faut encore faire des enfants ». Face à la dégradation globale du biotope, la réponse serait-elle de ne plus engendrer, soit des prédateurs (cf. supra) soit des consommateurs compulsifs ?
Pour échapper à ce dilemme, il faudrait articuler diverses formes de vérités : vérité religieuse (ou spirituelle), vérité scientifique, vérité politique. La mauvaise lecture de l’évènement présent (cf. supra) serait ‘Apocalypse now’ soit, l’inévitable destruction massive. Pourtant, à un lecteur formé, une apocalypse signale que le monde présent est déjà jugé et donc qu’il faut imaginer une autre progression. Recommencer l’histoire de matière positive en analysant les marges de manœuvre possibles. C’est comme un appel : il est temps de se mettre au boulot ! Pour cela, par l’éducation, il faut devenir capable de décrire le monde où l’on vit (enracinement dans un terroir) comme partie d’un monde dont on vit. Pourquoi, pour vivre où l’on vit, faut-il consommer maintenant cinq fois plus que ce que la planète, dont on vit, produit et renouvelle annuellement ? Il y a une réelle détérioration de l’espace commun. Cependant les climatosceptiques disent que ce n’est pas leur monde (que les arguments avancés sont faux !) tout en cherchant à s’échapper. Comme les futurs 9 milliards d’humains n’iront pas vivre sur mars, eux qui subissent (surnuméraires) les conséquences des choix antécédents, il y aura parmi eux – et il en est déjà !- qui ressentiront qu’ils ne servent à rien, qu’ils sont nés pour rien n’avoir de la vie. La crise écologique est donc une crise des consciences. Cette crise devient un outil de manipulation des surnuméraires.
Elle favorise le populisme et les réponses simplistes. Illibéralisme, anti-immigration, antiféminisme… Slogans totalitaires « Tous pourris ! » -sauf moi et ma caste-… autant de façon de poser la question vitale : « Sur quelle terre (avec quel enracinement culturel) vivons-nous ? Avec qui ou contre qui ? » Donc, en plusieurs lieux, consciemment ou non, se vit un questionnement : « C’est quoi appartenir à un territoire ? »
Affronter la question d’une prévisible catastrophe écologique (apocalypse) exige d’inventer de nouvelles pratiques corporelles. En effet, la terre qui nous supporte, réagit à notre action. C’est pourquoi, il faut innover. Il faut inventer des formes, il faut se donner des attitudes corporelles (danse, gymnastique, arts…) qui redonnent des marges de manœuvre… et de l’enracinement culturel ! Et pour cela articuler positivement les formes de vérités. Sans une reprise en main de soi par la conscience (du danger) et l’analyse (de l’évènement), Gaïa (Terre Mère) rendra fous les humains.
Quentin Herniaux (Chercheur belge du FNRS) critiquera donc notre représentation linéaire du vivant. L’éthologie a remis en cause la distinction entre l’humain et l’animal. Ces deux-là réunis s’opposent-ils qualitativement à tout ce qui n’a pas de système nerveux central : le monde végétal ? Ne serait-il pas profitable pour le bien-être de tous les vivants d’arrêter la déforestation massive, la dégradation des sols par les engrais chimiques, les manipulations génétiques surnaturelles (parce que la manipulation des gênes a toujours existé !)?
Un ours polaire sans sa banquise ? Un panda sans son bambou ? Une prairie sans herbe ? Les végétaux façonnent les sols mais aussi l’atmosphère, l’air que nous respirons. Toutes les formes de vie interfèrent les unes sur les autres. Pour le philosophe Emmanuele Coccia, « les plantes ont une raison, qui s‘incarne sous la forme de la fleur ou de la graine ». Certes, les végétaux font preuve d’une adaptation exceptionnelle à leur milieu mais ne serait-ce pas un anthropomorphisme que de l’appeler intelligence ? Il faut poursuivre l’analyse du végétal pour progresser de la philosophie d’Aristote (-384 à -332) vers une autre approche du vivant. Repensons globalement la place de l’homme et de l’animal en compagnie du végétal puisque celui-ci est la première ‘victime’ des aménagements du sol. En effet, ce sont les plantes qui font des paysages emprunts de sérénité plus et mieux que l’urbanisation.
Et pourtant des éoliennes prendraient pied (et vents !) en pleine forêt du Morbihan. S’agira-t-il d’un massacre paysager ? Du ciel, la ‘plaie’ du déboisement est bien visible. Derrière le projet, il y a un puissant groupe canadien (Boralex). Il est suffisamment puissant pour faire valoir aux décideurs de l’Etat, en passant au-dessus des décisions des tribunaux saisis par les opposants, une nécessité qui n’est pas prouvée puisque la faiblesse des vents sur ce massif n’assurerait qu’un rendement de 25% des machines technologiques mises en place. Qu’adviendra-t-il de la biodiversité que renferme cette forêt, de l’habitat des chauves-souris (prédatrices d’insectes) et des couloirs amphibiens (les grenouilles ralentissent le peuplement par les moustiques) ? Avons-nous ici la trace concrète du combat entre Nature et Technologie, contre conservation et développement…puisque, pour que se meuvent les voitures sur batteries vs les véhicules à énergie fossile, il faudra produire davantage d’électricité ? Que faut-il questionner et comment si nous nous référons à ce que nous avons déjà lu jusqu’à présent ? Est-il nécessaire de se déplacer autant en sortant de son territoire où celui-ci devrait-il suffire pour donner du travail autant que du pain quotidien ? Faut-il privilégier un intérêt particulier pour un terroir à préserver (et l’enracinement culturel dans celui-ci) plutôt que l’intérêt général décidé par l’Etat? Ne sont-ce pas les arbres qui sont nos meilleurs auxiliaires quand il faut manger l’oxyde de carbone ? Analyse, prise de conscience de l’enjeu, recherche du mieux à mettre en place, questions sur le pouvoir des décideurs et sur l’appât du gain, quelle éthique et quel respect du Vivant… n’est-ce pas à cela qu’il faudrait éduquer largement à partir d’un fait concret et de ses conséquences prévisibles à (trop) court et moyen terme?
Jean-Pierre Le Goff (sociologue) dans le journal ‘le Figaro’ écrivit : « L’écologie présente les traits d’une nouvelle religion séculière : quand elle s’érige, elle s’érige en une explication globale du monde qui détiendrait les nouvelles clés de l’histoire du salut de l’humanité, quand elle fixe la hiérarchie des valeurs et des bons comportements. » Cette écologie-là serait donc une menace pour les libres penseurs. Jusqu’ici, dans l’écriture de ce propos, le danger des décisions entrainant une surexploitation de la planète n’a pas été nié. Un « Comment en sortir ? » ne naîtra pas de l’adhésion à une forme ou l’autre de pensée doctrinaire. Il s’agirait plutôt d’une volonté de redéfinir l’humain (et un humanisme de qualité) qui habite, occupe, se nourrit, et aménage sa planète. Il n’y a que des questions, celles que suscitent les évènements eux-mêmes quand ils poussent à inventer du neuf, à fuir l’évidence, à vouloir une plus large base pour la justice, le partage, l’équité. La mise en place généralisée d’un équilibre entre tous les composants interactifs du vivant sera couteuse. Le coût à payer concernera chacun. Il faudra faire des choix et des renoncements. C’est pourquoi –pensent certains- dans le système actuel, il ne pourra se faire que s’il acquiert une valeur intrinsèque qui rapportera aux investisseurs. Qui va décider qu’il faut que ce changement soit profitable seulement à quelques-uns plutôt qu’utile à tous, globalement ? Sans une initiation globale à l’action politique, il n’y aura pas la (r)évolution nécessaire. Et nous touchons ici à la complexité de ce qu’il faut changer. Les politiques en place favoriseront-ils une telle éducation si elle est une menace pour la place qu’ils tiennent, eux-mêmes et leur famille ? Le rejet de la science politique, comme projet de gestion du bien commun, par celles et ceux qui la méprisent n’encouragera pas non plus à cette initiation.
Mais il y a un autre danger qui met à mal la quête de nouvelles marges de manœuvre : l’action des médias qui veulent façonner l’opinion. Eux aussi croient en un pouvoir qu’ils ne veulent pas perdre. Ils revendiquent pour eux seul le droit de ‘faire savoir’, d’informer. Pour faire de l’éducation de masse, il suffit de se plier à ce que la masse veut entendre. Alors quand il faudrait proposer que tous aient moins pour que ceux qui n’ont rien (les surnuméraires) se mettent à espérer, il n’y a pas beaucoup de candidats. Il est possible d’aller dans le sens du poil de la masse en rendant l’OS jaloux, par une démonstration fouillée, du salaire des cadres (et seulement quelques secondes à celui des vedettes du foot bien plus mirobolants).
Puisque le changement de cap –indispensable- sera onéreux, les médias en quête d’audience ont choisi une stratégie dite ‘de neutralité’. Elle consiste à mettre face à face autant d’experts de la communauté scientifique que de climatosceptiques. Les journalistes arbitrent le débat, la masse juge et se fait une idée.
Cette forme de journalisme introduit une confusion néfaste entre science et opinion. Et puis, derrière, il y a les lobbies ! Déjà en 1979, les scientifiques, l’opinion publique et des politiques de tous bords s’accordaient à reconnaître la nécessité d’une action. Mais dès 1980 les possédants des industries pétrolières et charbonnières dépensèrent des milliards pour une campagne de désinformation. Elle dure depuis presque quarante ans. Quarante années de perdues au nom du profit pour quelques-uns. Jusques à quand ? Nous ne perdrons pas la terre : la terre perdra les humains et humanoïdes associés.
Revenons au titre de cet exercice. Qu’est-ce que nous espérons tous sinon le bonheur. Quelle est l’utopie ? Que ce bonheur s’étendent à tous les Vivants de la planète Terre. Quels sont les obstacles ? La mise en place d’une pensée totalitaire. Une forme de socialisme cultive le mythe d’une augmentation bienfaisante du pouvoir d’achat. Or, avoir un pouvoir d’achat facilité n’est, dans notre modèle économique, que l’inverse de la peur du manque : cela ne résoudra en rien la surconsommation par quelques-uns de ce que la terre peut produire. Ceux qui produisent les bananes gagnent €1.5 le régime ; ceux qui les commercialisent et les vendent €1.5 la main ! La marge est énorme et permet bien sûr une aumône significative aux petits producteurs, un geste de bonne volonté qui ne changera pas le système. Le premier article de cette revue montre qu’une Société qui renie l’Histoire et la Culture et se laisse guider par les émotions normatives de l’instant court le risque de la perte du sens et de l’intelligence. Quand les eurosceptiques font croire au peuple –qui n’a pas les moyens de s’informer mieux- que ceux qui ne pensent pas comme lui sont les ennemis, ils collaborent de fait à l’ignorance et au refus du changement indispensable. Le peuple, qui pensait triompher, sera le grand perdant.
Chercherons-nous, trouverons-nous une troisième voie qui ne soit ni une religion laïque, ni une idéologie passagère ? Pourquoi ne pas analyser les évènements que nous ressentons tous, de leur origine à leurs conséquences, pour laisser advenir un renouvellement du biotope et des humains qui y vivent ?
Et pour ce faire, il faut éduquer, éduquer à la différence, éduquer au débat entre opposants. « Ni rire, ni pleurer, ni haïr mais comprendre » (Spinoza, cité par Sloterdijk, philosophe allemand vivant en France) Et comprendre l‘autre, en tant qu’autre que moi, demande un effort intellectuel autant que de l’empathie pour toute forme de vie. Ce devrait être possible, sauf qu’il y a contre ce vœu un totalitarisme déguisé en ‘Facebook’ (qui vit à 98% des rentrées publicitaires). Celui-ci ne propose que de l’entre soi, le sentiment de n’être bien qu’avec le même, la non-critique des informations, la recherche d’amis jamais rencontrés, un vrai soutien à toutes les formes de dictature… Voilà un fait à analyser et une maladie de la démocratie à combattre.
*Variété d’une espèce adaptée à un milieu particulier