Revue Numéro 8 2016 - Les restrictions de la liberté de l’expression, de la dignité à l'indignité de l’homme
Les restrictions de la liberté de l’expression, de la dignité à l'indignité de l’homme
Patrice Dartevelle
Quand on cherche à justifier les législations réprimant la liberté d’expression et en particulier celles réprimant l’incitation à la haine, concept de plus en plus souvent utilisé comme source d’autres restrictions, très souvent on invoque, à côté de l’exigence d’égalité démocratique entre les groupes, le concept de respect de la dignité humaine. Les coordi-nateurs du numéro de la revue Esprit centré sur le thème « Punir la haine », Erik Bleich et Charles Gérard,y font volontiers référence dans l’introduction au volume1.
Dans cette introduction, ils déclarent que si le numéro ouvre le débat à des personnes qui pensent différemment, pour leur part, ils « partagent la conviction que la restriction de la liberté d’expression en matière de discours racistes, antisémites ou islamophobes est parfois justifiée pour des considérations démocratiques. ».
Dans sa contribution personnelle, l’un d’entre eux, Charles Gérard, considère que « La répression du discours de haine peut être justifiée lorsque la propagation dans l’espace public de messages racistes incitant à considérer les membres de certains groupes comme inférieurs … vient menacer la reconnaissance de leur statut d’égaux »2.
Même si je ne la partage pas3, cette motivation est indubitablement élevée. Elle est manifestement sincère même si elle est trop floue et verbeuse à mon sens pour en faire un concept juridique.J. Habermas a théorisé le lien entre dignité et droits de l’homme4.
L’argumentation de François De Smet dans son livre Reductio ad Hitlerium5 n’en est que plus saisissante.
Le point Godwin
Le point de départ du livre est la théorie du point Godwin, du nom d’un avocat new-yorkais inventeur d’une observation, pompeusement baptisée loi, faite dans les années 1990 sur l’utilisation des réseaux sociaux : plus une discussion dure longtemps, plus les chances de voir un interlocuteur se référer aux nazis deviennent élevées, comprenons les chances que l’on traite l’autre de nazi ou, dit plus élégamment par Godwin « plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la possibilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de un ». C’est l’équivalent – sans doute accéléré par les réseaux sociaux – de ce que Levi Strauss avait antérieurement appelé la reductio ad Hitlerium. Se crée ainsi l'obligation faite à chacun d'éviter absolument la situation, face au risque d'être ainsi traité.
Le point Godwin sert d’amorce à la clef de voûte de l’argumentation du livre : tout ce qui compte en matière d’expression ou de réalité politique est complètement et définitivement conditionné par le fait et le souvenir de l’Holocauste nazi, auquel l’auteur agglomère plus d’une fois le fascisme qui ne fera rien contre les Juifs de 1922 à 1938 et à partir de cette date jusqu’en 1943, se limitera à des règles anti-juives en fait de mariage, d’accès à la fonction publique ou tout au plus organisera du travail forcé pour les Juifs dans des conditions sans rapport avec les camps nazis.Ce point de départ, augmenté de deux ou trois éléments théoriques, va servir à François De Smet pour légitimer les restrictions mises ces dernières décennies en Europe à la liberté d’expression, phénomène qu’il a, à la différence d’autres, l’honnêteté de reconnaître.
Selon Fr. De Smet, la crainte des idées nazies a fait que l’on a "rapidement résolu d’exclure [les idées] qui, par la haine et l’exclusion qu’elles promeuvent, se révèlent … périlleuses pour l’ordre social "(p. 14).
J’avoue, et ma remarque a son importance, ne rien voir qui conduise à des restrictions à la liberté d’expression avant deux textes internationaux de 1965 et 19666, sauf en Allemagne et en Autriche, mais aussi dans d’autres pays occupés comme la Belgique, la condamnation de l’apologie du nazisme, dont la signification se sépare mal de tout début de glorification de l’ennemi pendant et juste après les guerres contemporaines.
Il faut du temps pourtout, il n’est pas niable que certains éléments de ces textes d'après d’argumentation des commissions de suivi montrent que l’on a en tête le racisme nazi, mais que ces textes viennent juste après l’indépendance de dizaines de pays africains est également un élément de la cause.
De toute manière, si la France vote la loi Pleven sur l’incitation à la haine en 1972, la loi Gayssot réprimant le négationnisme n’arrivera qu’en 1990. Elle n’aura d’homologue en Belgique qu’en 1995. L’équivalent belge de la loi Pleven débute au début des années 1980 mais ne sera pas correctement cadré avant la loi de 2007. La rapidité me semble relative et d’autres causes sont sûrement à examiner.
Mais le dogme de Fr. De Smet est bien que le nazisme domine absolument la suite de l’histoire. Ainsi : « … l’ombre du totalitarisme nazi est encore si puissante que son évocation sert de cadre référentiel aux limites de la discussion légitime »(p. 16) ou « la solution finale devait devenir le baromètre de la construction de la mémoire, redéfinissant jusqu’aux attentes, qu’on est en droit de placer dans cette mémoire » (p. 27) ou « … sur soixante années de temps, le nazisme et le fascisme conservent dans la conscience un ingrédient qui les rend uniques et les fait percevoir comme des menaces universelles et perpétuellement d’actualité » (p. 108).
Je partagerais assez aisément avec Fr. De Smet l’idée du caractère unique du nazisme et de la solution finale mais leur retour peut-il dès lors nous guetter tous et tout le temps ?
Par ailleurs, Fr. De Smet s’extasie sur la vitesse « interpellante » (p. 61) de la dénazi-fication de l’Allemagne. Ce serait une spécificité des régimes totalitaires d’être aisément installés et oubliés.
A ce compte, on n’est pas loin des mystères de la religion chrétienne. De toute manière, tout est faux. La dénazification n’as pas été simple7. A l’Ouest elle s’est limitée à peu de choses et surtout elle a été décrétée parce qu’il fallait céder à l’urgence de la guerre froide et pour cela faire de l’Allemagne de l’Ouest un parangon de démocratie et de respect des droits de l’homme.
Bien évidemment, je serai le dernier à contester ce qu’il y a d’incroyablement horrible dans le nazisme et la solution finale non plus que l’interpellation qu’ils adressent à toute conscience humaniste sur les tréfonds dans lesquels peut tomber la conscience humaine.
L’oublier n’est pas acceptable. Mais régler tout et spécialement une question particu-lièrement sensible notamment par rapport à ceux qui l’ont le plus niée me paraît une hypertrophie classique du sujet traité.
Fr. De Smet ne conteste d’ailleurs pas le lien intime et essentiel entre liberté d’expression et démocratie. Il voit dans la première l’orgueil de la seconde (p. 66). Mais ce serait en même temps « sa principale fragilité. » L’hommage du vice à la vertu ?
Une théorie du conformisme de l'être humain
La thèse de François De Smet sur ce qui légitime les restrictions à la liberté d’expression et la criminalisation de l’incitation à la haine est nette.
Contrairement à beaucoup, sinon la plupart, le philosophe ne retient pas comme argument la sensibilité des récepteurs parce qu’elle est « toujours subjective ». L’attitude est sage et il n’est pas ordinaire de voir traiter de subjective la réaction de Juifs au négationnisme ou celle d’Africains aux propos racistes, ce que me paraît impliquer le choix de Fr. De Smet.
La vraie raison est ailleurs et l’argument fait choc : « Si on interdit les propos publics haineux, c’est parce que le législateur a inconsciemment fait le postulat que l’esprit humain est malléable et facilement gagnable par l’effet de meute, aisément manipulable dès qu’on lui désigne une cible … on craint le passage à l’acte » (p. 72).
Dans la foulée (p. 73), Fr. De Smet reconnaît que ce postulat est un défaut mais rien ne force à arrêter le philosophe.
Le sempiternel argument de l’écrit ou de la parole qui aide ou force à passer à l’acte est aussi requis par Fr. De Smet. Nul ne peut contester que cela existe mais le problème est que presque tout ce que nous disons a bien un caractère performatif.
L’invoquer dans certains cas que l’on choisit n’avance à rien.
Ce n’est qu’un argument ancien utilisé chaque fois qu’on veut limiter la liberté d’expression. Il ne nous apprend rien. Tout est performatif.
Fr. De Smet évoque l’emballement observé sur les forums des journaux suite à chaque fait divers à composante raciste.
Je dirais tout le contraire : le souvenir du nazisme a fait son œuvre et ce qu’on peut observer aujourd’hui n’est plus rien ni en violence ni en fréquence comparéà ce qui s’observait avant la Seconde guerre mondiale.
Fr. De Smet admet même que les lois réprimant l’incitation à la haine « n’ont pas de vertu pédagogique … elles tendent même … cliver et radicaliser des positions » (p. 73).
Mais se fondant par exemple sur l’expérience de Milgram, il conclut que « … les résultats sont édifiants et attestent de la prégnance irréductible chez l’être humain d’un profond conformisme lié à notre solitude d’animal politique renforçant la construction de sa personnalité par le truchement du groupe, avec comme conséquence classique et périlleuse que nous préférons régulièrement avoir tort avec le groupe qu’avoir raison tout seul » (pp. 63-64).
Voilà au moins un reproche que le présent article n’encourra pas !
Fr. De Smet adoube une opportune citation du philosophe Michel Terestchenko, connu pour le rôle qu’il donne au mal qui prétend établir que "les hommes n’ont au fond pas d’identité substantielle", que "leur moi n’est que l’expression d’une succession d’impulsions psychologiques qui tour à tour prennent le dessus » (p. 55).
Sans doute pris dans ses propres filets, Fr. De Smet finit par valoriser ce conformisme de l’homme : « Il paraît donc permis de postuler que la conformisme humain est une compétence de base de l’homme en tant qu’animal social et individualisé psychologiquement, qui lui est nécessaire comme outil de résistance face au chaos qui l’entoure et menace de la submerger » (p. 112).
Le groupe est la clef, affirmation qui contient une large part de vérité, mais pour Fr. De Smet, le groupe c’est fondamentalement la meute (le terme revient sans cesse), avec la connotation animale et négative (je sais bien que le lien entre les deux est discutable et discuté) que cela implique. Le mal (nazi) « pour déployer toute sa puissance … doit bénéficier de la complicité passive de l’homme » (p. 59). Tout ceci rencontre de nombreuses objections.
La première est le caractère partiel, faux et dangereux d’une vue aussi psychologi-sante de la montée du nazisme. On oublie la folle exigence des réparations exigées de l’Allemagne après la défaite de 1918 (la leçon servira et en 1945 les Etats-Unis s’opposeront très largement à toute tentative de renouvellement) et l’humiliation imprudente qui lui a été infligée. On fait l’impasse sur la crise économique qui s’est ajoutée aux difficultés financières, l’incurie des gouvernements démocratiques de la République de Weimar, les jeux politiciens, à gauche comme à droite, qui, au fond révéleront que le régime démocratique n’avait que bien peu de soutiens, limités au centre gauche et au centre droit, sans parler des conséquences de l’anticommunisme des Eglises.Pour Fr. De Smet, tout semble se réduire à un phénomène de psychologie des foules, c’est-à-dire des foules méprisables.
En outre, cette vision négative de la nature humaine est bien sujette à caution. Certes, il dit que l’homme n’est par lui-même ni bon ni mauvais mais il oublie vite le premier terme. L’homme peut être méchant mais aussi bon, social, prêt à aider l’autre.
Plusieurs sites préhistoriques nous donnent la preuve que des hommes – de l’âge de Néanderthal – blessés ou invalides ont survécu longtemps à leurs problèmes et n’ont pu le faire que grâce à l’aide et à la solidarité du groupe. C’est le cas à Atapuerca, en Espagne, à Shanidar en Irak9.
On trouve la même chose à Krapina en Croatie, la survie d’un amputé grâce au groupe ais le même site donne la meilleure attestation d’anthropophagie préhistorique10. Pour Darwin comme pour le biologiste contemporain David Sloan Wilson, si l’égoïsme est efficace au sein d’un groupe, les groupes où prévaut l’altruisme l’emportent sur ceux où prévaut l’égoïsme11.
La question de la violence chez les hommes préhistoriques et une question un peu différente mais aujourd’hui les préhistoriens sont réservés sur les interprétations belliqueuses d’autrefois12. Fr. De Smet crée une ambiance décalée, fortement hypertrophiée dans une seule direction, par rapport à la situation d’ensemble de la société et du monde. A le lire, nous vivrons dans un univers miné par une perpétuelle menace vitale, le retour du nazisme, sous une forme qui ne serait pas strictement répétitive et dont il avoue qu’elle est imprévisible.
Certes, comme à toute époque, des problèmes difficiles, des défis et sans doute des reculs sont devant nous. Mais comment ne pas voir que Franco, Salazar, Pinochet, Videla, le communisme soviétique, tout cela est fini même si les lendemains peuvent parfois déchanter. Si l’on prend un peu de distance, une vue plus optimiste du monde est possible.
Nous vivons dans un monde où l’analphabétisme est passé de 80 % à 15 % de 1900 à 2015, où la mortalité infantile a été réduite à 5 % en 2012, où le PIB par tête a crû de 2.100 à 7.600 dollars de 1950 à 2008 (p. 13).
Dans l’opuscule fort bienvenu qu’il a publié en novembre 2016 à propos de l’Europe, l’ancien ministre socialiste français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, donne à penser sur la logique du type de celle employée par Fr. De Smet, son inadéquation, son inefficacité et ses dangers : « Même rhétorique stigmatisante dans le rejet dégoûté des idées « nauséabondes », terme convenu pour évoquer les années trente, supposé susciter une horreur réflexe et réveiller les désirs d’intégration européenne.
Les formules sont employées comme l’eau bénite était censée anéantir les vampires. Mais cela fonctionne de moins en moins, sinon on n’en serait pas là » (p. 14).
Dernier problème, la question du « postulat », terme que Fr. De Smet utilise sans restriction pour qualifier les prémisses de sa thèse sur le conformisme humain et l’intégration de l’homme dans ce qui n’est qu’une « meute ». Nul doute que le philosophe sache ce qu’il fait en choisissant ce terme. Mais quoi qu’on fasse, un postulat est un principe indémontable. Pour être utilisé, il doit apparaître comme légitime et cette légitimité doit être acceptée par l’individu récepteur. Mais le postulat est infondé ou partiellement fondé, comme je viens de le montrer.
Le mépris du groupe
Les idées de Fr. De Smet peuvent parfois prendre un tour très outrancièrement méprisant. Il s’en prend vivement à Stéphane Hessel, à son appel à l’indignation, cœur même de son opuscule Indignez-vous et aux groupes qui se réclament de celle-ci. Il utilise un argument que je partage : « il est très facile de s’indigner, et très difficile de choisir contre qui ou contre quoi le faire » (p. 133).
Les indignés sont pour lui des individus frustrés qui vont « puiser dans cette frustration pour parvenir à grimper jusqu’au sommet du système » ou « dont l’adhésion inconditionnelle à certaines valeurs compensera le hiatus entre leurs désirs passés et leur existence actuelle ». Mais, en conclut-il, « La crise du paquet de bonbons ne dure qu'un temps » (p. 138). Pour Fr. De Smet, l’affaire et l’idée de résistance liée à l’indignation sont l’occasion de manifester son refus du groupe. Le mouvement d’indignation est un « Moment nécessaire pour échapper au flux, mais qui prête le flanc à l’absorption par le groupe s’il se réalise dans un environnement collectif ou totalitaire » (p. 143) et Fr.
De Smet en vient à se demander « si, finalement, la seule véritable indignation n’est pas individuelle » et, pour couronner le tout « Le collectivisme de l’indignation est donc un vernis confortable qu’on ne peut s’offrir qu’en temps de paix, en guerre, en situation d’urgence, c’est l’autonomie de chaque caractère qui se révélera dans l’âpreté de la conscience – et non le vacarme de bonnes consciences agrégées en troupeau"(pp. 144-145).
Certes en définitive, l’homme est seul avec sa conscience mais à mon sens tout homme est voué à cela et non quelques-uns, qui se distinguent de la meute.
La manipulation des esprits existe et si l’indépendance d’esprit n’est jamais assez présente, elle existe elle aussi.
Le désenchantement actuel manifeste bien une réflexion, qu’elle soit bien ou mal orientée.
Dans un pareil contexte, les réseaux sociaux ne pourraient trouver grâce aux yeux de l’auteur. Je ne retiendrai de ses propos que ce qui concerne la liberté d’expression.
L’enjeu est d’importance et se discute actuellement dans les lieux de décision et les plus hautes cours de justice : faut-il appliquer aux réseaux sociaux les mêmes règles qu’à la presse ou en adopter de plus restrictives ?
Même s’il ne prend pas explicitement position, le sentiment de Fr. De Smet est clair : « L’arrivée d’Internet a bouleversé le rapport à l’écrit en le diluant dans l’immédiateté.
Par les réseaux sociaux, la question [de la liberté d’expression] prend une envergure supplémentaire en transformant chaque citoyen en détenteur d’une liberté potentiellement destructrice, car inscrivant l’individu lambda du comptoir du café dans la jungle d’interactivité virtuelle et pouvant revêtir tout avis succinct du poids tronqué d’une délibération tranchée » (p. 74).
De nouveau on retrouve le mépris du citoyen, ici clairement un être dangereux, à toujours tenir en bride.
Fr. De Smet indique bien le fond de sa pensée et de ses refus : le web accorde les mêmes droits à « l’individu lambda et au philosophe titré ».
"Des propos émis par un homme en colère sont jugés comme venant d’un esprit pensant, écrivant et publiant » (p. 75).
C’est bien de cette égalité (en fait très largement d’apparence) qu’il ne veut pas.
Si je peux partager ses réflexions sur l’immédiateté de la décontextualisation de ce qu’on trouve sur Internet et les réseaux sociaux – on voit bien les pénibles tweets d’un Donald Trump -, la tonalité générale est celle d’un désarroi qui se résout dans le refus, ici de l’inéluctable … à moins qu’à force de patience, hommes politiques, magistrats et d’autres apeurés ne parviennent à grignoter davantage la liberté dont ils semblent avoir si peur.
Au nom de quoi?
La grande difficulté que soulève le volume de François De Smet, c’est évidemment la justification d’un petit groupe, si je le comprends bien, qui prétend limiter la liberté des autres.
La question du « postulat » montre bien qu’on ne dispose pas d’argument ultime pour justifier les restrictions à la liberté d’expression. Mais néanmoins, pour François De Smet, le doute n’existe pas. Pour lui « les Justes, les résistants sont des créations contemporaines et postmodernes. Ce sont des exceptions … parce que … s’arracher à la nature … n’est jamais facile ni spontané » (p. 150).
Le résultat global est au fond étonnant. Quand nos gouvernements et parlements restreignent par des lois la liberté d’expression, on ne nous parle d'habitude que de protection due à ceux qui seraient méprisés et que de propos dévalorisants ou injurieux risquant de les maintenir dans une position de discriminés.
Ici on est à l’inverse, c’est l’inconsistance de la très grande majorité qui justifie un exercice de législation dirigé par les meilleurs ( ?), les lucides ( ?) et empêche cette multitude de livrer à sa funeste tendance à la meute.
Ceux qui décident sont d’une nature supérieure. Ils savent.
Quant aux autres, il s’agit « d’une communauté de citoyens d’esprits sains » qui doit se « défendre contre des idées malsaines qui pourraient perturber l’ordre social » (p. 102), selon un vocabulaire d’un autre temps mais qui renvoie par un vocabulaire médical à une tumeur qu’il faut enlever, c’est-à-dire employer la voie judiciaire contre des idées.
Pour ma part, il peut se faire que je ne les respecte pas mais je préfère ne pas attenter à la liberté de ceux qui les portent. Le livre n’est pas convaincant et je crains que ce soit pour Fr. De Smet et les partisans des lois qu’il veut défendre, non pas un coup d’épée dans l’eau mais une balle dans le pied.
(1) Esprit, n° 148, octobre 2011, pp. 5-66, spécialement p. 8.
(2) Charles Gérard, ibid., Pourquoi punir les discours de haine, pp. 11-22, p. 22.
(3) mon article Arguments pour et contre le délit d’incitation à la haine, Bulletin de la Ligue pour l’Abolition des lois réprimant le Blasphème et le droit de s’Exprimer Librement (Label), n° 58, (décembre 2016), pp. 1-5, à consulter sur le site , rubrique Bulletin.
(4) Jürgen Habermas, La Constitution de l’Europe, Paris, Gallimard, 2012, pp. 133-199.
(5) François De Smet, Reductio ad Hitlerium, une théorie du point Godwin, par PUF, 2014, collection Perspectives critiques, 161 pp., Prix : +/- 15 €.
(6) mon article Arguments pour et contre le délit d’incitation à la haine, op.cit. Les conventions visées sont la convention internationale de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de l’ONU de le Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966.
(7) En rendant compte du tournage de Jacques de Saint Victor, Blasphème, j’ai développé cette question dans mon article « Le blasphème, un délit suranné devenu « curseur » de la liberté d’expression », Bulletin de la Label, n° 57 (septembre 2016), pp. 1-4, spécialement p. 3.
(8) Lors de mon temps de service militaire en 1973-1974, j’ai pu entendre de la part de sous-officiers encore en activité et venus dès 1945 en occupation le récit des nombreux attentats meurtriers perpétrés après la capitulation par la résistance allemande à l’encontre des forces alliées, dont la brigade belge.
(9) Sophie A. de Beaune, Qu’est-ce que la Préhistoire ?, Paris, 2016, Gallimard, Folio, Inédit histoire, pp. 48-49 et 255.
(10) Mes remerciements à Fenand Collin et Michel Touissaint pour ce renseignement
(11) cf. de Darwin, La Lignée humaine, et David Sloan Wilson, Does Altruism Exist ?, Yale University Press que je cite d’après le compte rendu d’Olivier Postel-Vinay, Books, n° 75 (avril 2016), p. 98.
(12) cf. Marylène Patou-Mathis, Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre, Le Monde diplomatique, juillet 2015, pp. 20-21.
(13) Le dossier de quatre pages publié dans le supplément « Ideas » d’El Pais du 31 décembre 2016, dont une est consacrée au Michel Serres de Darwin, Bonaparte et le Samaritain, est percutant et pertinent à cet égard.
(14) Hubert Védrine, Sauver l’Europe, Paris, Editions Liana Levi, 2016, p. 33.