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Ligue pour l'Abolition des lois réprimant le Blasphème et le droit de s'Exprimer Librement
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Bulletin Numéro 38 - Le blasphème a une histoire

PostDateIconTuesday, 21 March 2006 00:00 | PDF Print E-mail
Article Index
Bulletin Numéro 38
Le respect des Glasgow Rangers
De la nécessité de la dérision
Le blasphème a une histoire
L'affaire Redeker, encore un cas pendable
Pas de délit de blasphème en Belgique ?
Droit au blasphème !
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LE BLASPHÈME A UNE HISTOIRE


L’histoire du blasphème – c’est-à-dire de sa répression, puisque pour qu’il y ait blasphème, il faut qu’il y ait une institution qui attribue la qualification – est significative parce qu’elle montre que la question n’est pas parfaitement univoque : on ne va pas si simplement d’une société à forte répression vers une société de libre parole.
Alain Cabantous, historien disciple de Jean Delumeau, l’a subtilement montré dans son Histoire du blasphème en Occident (1).
Du point de vue de l’historien, la question n’est pas aisée. Les tribunaux du Moyen Âge et des Temps modernes ne décrivent pas toujours clairement les faits. Les historiens d’aujourd’hui ne creusent d’ailleurs pas toujours davantage les choses, y compris Jean Delumeau, quand il parle d’une « civilisation du blasphème » ou Robert Muchembled.


Le ciel est plein


Si la première législation réprimant le blasphème remonte au Code Justinien (535-540), c’est une ordonnance de saint Louis IX (1263) qui donne la première matière aux historiens et celle-ci est déjà significative. La sévérité de la loi est telle que le pape lui demande d’éviter les peines corporelles, conformément à la doctrine habituelle de l’Église médiévale. Louis IX obéit  finalement au pape.
Il est cependant curieux que, jusqu’au tout début du XVIe siècle, huit législations successives traitent du blasphème en France.


C’est à l’époque moderne et à partir du temps de la Réforme que l’affaire s’assombrit très fort. L’inflation législative contre le blasphème est importante et la répression physique se durcit considérablement.
Tout n’est pas parfaitement clair.


Les sentences des tribunaux et leurs archives ne distinguent pas bien deux interprétations du délit de blasphème. Il y a d’une part le juron qui peut être un écart de langage, qui n’infirme pas la religion, et d’autre part, l’affirmation plus construite qui contredit de manière importante le dogme – sans pour autant vouloir dire qu’il s’agit d’athéisme.
Les guerres de religions changent tout et après 1510, on ne note pas moins de douze actes législatifs en France et encore sept pour le XVIIe siècle. Le même phénomène s’observe en Europe : à Florence, Venise, en Angleterre.


Ce pays présente une particularité : il rassemble l’essentiel des cas où le blasphème dénoncé et puni cache souvent une vraie contestation du christianisme au nom par exemple d’un panthéisme parfois même de l’agnosticisme et de l’athéisme.
Les condamnations sont nombreuses et très sévères.


Qui blasphème ? Pas le menu fretin comme on a essayé de le faire croire.
On dispose des chiffres pour Paris et sa campagne aux XVIIe et XVIIIe siècles. Près de la moitié des condamnés sont des moyens bourgeois (marchands, boutiquiers, maîtres de métier,…).


Le ciel est vide


Petit à petit, le nombre et la sévérité des jugements s’atténuent.
C’est très clairement le cas en France à partir de 1740. L’exécution du Chevalier de La Barre en 1766 est plutôt l’exception due à la volonté d’indiquer un coup d’arrêt.


Les sources de l’évolution sont multiples. Deux ou trois sont essentielles. La vision que les croyants ont de Dieu change au XVIIIe siècle. La répression du blasphème implique un Dieu vengeur qui ne supporte pas l’offense.


Mais à partir du moment où on met en avant un Dieu de bonté et qu’on a des doutes sur l’enfer, tout change.
La sécularisation des esprits qui fait penser que le ciel peut être vide et la délimitation claire due aux Lumières du rôle de l’Église et de la religion vont achever l’affaire.
Le Code français de 1791 ne connaît plus le blasphème, et les révoltes de l’An II ont un caractère blasphématoire et iconoclaste particulièrement fort.


Mais le début du XIXe siècle marque une restauration dans tous les sens. En 1825, Charles X promulgue une loi sur le sacrilège. Elle vise à rétablir tout une dimension religieuse dans la législation. De grandes sociétés contre le blasphème se créent avec un léger décalage par rapport au passé : le point sensible paraît être les offenses à Marie et à son culte.
Un prêtre publie un Essai sur le blasphème en 1820.
Il aura dix-sept éditions en France et neuf en Belgique !
Tout cela s’est largement estompé, même si en 1943, le cardinal-archevêque de Québec interprète la guerre comme une punition contre les blasphémateurs…


La question du blasphème n’est pas aussi simple.
Les révolutionnaires de 1791 suppriment le délit de blasphème mais dans les années qui suivent, les révolutionnaires parlent de blasphème quand ils doivent faire face à une contestation des fondements de la République.
Maximilien Robespierre parle à propos des fédéralistes de "horde impure payée pour blasphémer".


En fait, c’est une illusion d’optique (chrétienne) qui fait croire que le blasphème est lié à la religion. Il touche en fait au sacré. Blasphémer contre le sacré des autres nous amuse.
Quand des citoyens se sentent solidaires des victimes des génocides, qu’ils veulent des sanctions contre ceux qui les nient, s’agit-il d’autre chose que de réprimer un blasphème ?


Je partage largement la conclusion d’Alain Cabantous : « … le blasphème continue de se dévoiler dès lors que l’on refuse a priori les désignations dénonciatrices. Car son histoire persistante et nécessaire renvoie avant tout à la part de nous-mêmes la plus fragile, la plus secrète et la plus humaine ».
Patrice Dartevelle

1. Alain Cabantous, Histoire du blasphème en Occident, XVIe-XIXe siècle, Albin Michel, L’évolution de l’humanité, 1998, 310 pages.

 


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