Revue Numéro 5 - Rapport sur le blasphème en 2001
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RAPPORT SUR LA RÉPRESSION DU BLASPHÈME EN 2001
Patrice Dartevelle
Sans devoir accorder tant d’attention à des pays où chacun sait que la liberté d’expression n’a pas cours et n’est l’objectif que d’une minorité, 2000 confirme le bilan que je dresse depuis près d’une décennie : en Europe même, les conflits, les questions pendantes et renouvelées, les problèmes nouveaux sont légion.
Notre attitude en faveur de la liberté d’expression des révisionnistes est mal comprise en Europe. Néanmoins, force nous est de constater qu’à cet égard 2000 fut une année amère, celle du premier procès intenté en Belgique à l’encontre un révisionniste, ou pire contre deux libraires et un diffuseur qui ont vendu la revue britannique « Final conflict » ( le Soir 11/09/2000). Les libraires se demandent non sans raison si leur rôle est bien d’être les premiers censeurs ( la Libre Belgique 13/09/2000). Ils ont été acquittés, mais le diffuseur à été condamné à six mois de prison avec sursis et à quarante mille francs d’amende ( Le soir 8/11/2000).
De toute manière une condamnation est fort modeste dans le contexte européen. En Suisse, un libraire vaudois s’est fait condamner à vingt jours de prison avec sursis pour la diffusion du livre de Roger Garaudy ( Le Matin et Le Soir du 10/02/2000). Il s’agissait en fait d’un second jugement après cassation et on a dû user du motif de discrimination raciale, qui est encore plus étrange - ou plus révélateur ?- que celui de révisionnisme. La même loi a servi à condamner a un an de prison ferme le négationniste G. A. Amaudry. Il s’agit d’un impénitent militant d’extrême droite dont les thèses auront reçu due publicité (un article de première page dans Le Monde du 12/4/2000) et auréole du martyr.
En France, un enseignant a été condamné à dix mois de prison avec sursis et dix mille francs français d’amende pour propos négationnistes devant ses élèves ( il n’a admis qu’un million de morts) ( Le Monde 17/5/2000).
Quant au C.N.R.S. français, il a engagé une action contre Georges Thion (celui-ci vient de l’ultra-gauche), pour utilisation de ses moyens professionnels à des fins autres, ce qui est aussi légitime de la part du C.N.R.S., que très très rare (Le Monde 3/6/2000). L’université de Lyon II a annulé le D.E.A. d’histoire d’un révisionniste, Jean Plantin. Le geste est purement symbolique car il est parfaitement illégal : le délai d’annulation est dépassé et le contenu des travaux n’est pas un motif valable d’annulation ( Le Monde 5-6/11/2000).
Revenons encore à la Belgique à propos d’une étrange proposition de loi, citée par la Nouvelle Gazette du 19/01/2000 sur la lutte contre la discrimination. Le but est estimable, mais faut-il un article qui condamne les incitations aux discriminations visées par la loi, ou spécialement les injures ( cf. mon article dans Le Soir du 19/5/2000) ? Il paraît que le gouvernement a modifié la proposition, mais, à ma connaissance, pas sur ce point ( Le Soir 8/12/2000). Heureusement, le Conseil d’Etat fait de la résistance ( Le Soir 29/12/2000).
Que des publications suscitent débat est plus que normal, celui-ci manque assez souvent. Il est légitime qu’un responsable effectue des choix. Mais on est parfois étonné de certains pseudo-scandales, de l’ampleur qu’on donne à des causes faciles à traiter, et de la facilité de certains à réclamer des sanctions.
La France a connu deux beaux cas de ce type en 2000, l’affaire Camus et l’affaire Virginie Despentes.
L’affaire Camus éclate en avril. Renaud Camus est un écrivain quelque peu solipsiste, peu connu du grand public. Dans son ouvrage La campagne de France-journal 1994, il se plaint de la surreprésentation des journalistes juifs et, c’est l``a l’essentiel, il leur conteste le droit d’être le porte-parole de l’expérience française (Le canard enchaîné, 26/4/2000). Le fond est sidérant : comme si un français de souche cumulait l’expérience et le savoir-faire « français » de dizaines de générations !
Une polémique naît, avec déclaration de Catherine Tasca, Ministre de la Culture, exprimant sa réprobation et pétition des amis de Renaud Camus. Soit. Mais fallait-il que Fayard retire le livre de la vente (Le Monde 18/5/2000) pour le remplacer par une version expurgée (Le Monde 1/6/2000) ? Comme le dit Sylviane Agacinsky ( Le Monde 10/6/2000), on remplace la critique par la censure.
Comme dans les questions autour du révisionnisme, le problème de l’antisémitisme reste ici très sensible, et les propos de Renaud Camus sont bien des « mots de braise » comme le dit Robert solé ( Le Monde 25-26/6/2000).
Précédé de la sortie à scandale d’un film réalisé en 1975, Une vraie jeune fille (Le Monde 7/6/2000), Baise-Moi de Virginie Despentes, un hard-porno violent et cynique, voit sa projection limitée à quelques salles spécialisées grâce à l’action d’un groupuscule mègrètiste ( Le Monde 4/7/2000). Le plus stupéfiant reste les déclarations de la réalisatrice en faveur de la censure ( Le Monde 4/7/2000).
Enfin, en reconnaissant (après la Belgique) le génocide arménien ( Le Soir 19/11/2000), les parlementaires français ont ouvert la possibilité d’un nouveau crime de révisionnisme.
Chacun vit comme il le peut ses contradictions. À juste titre, le Congrès des Etats-Unis tance la France (avec trois autre pays européens dont l’Allemagne et la Belgique) pour violation de la liberté de pensée, de conscience, de religion et de croyance. La France, avec son projet de loi sur les sectes, votée le 22 juin par l’assemblée nationale, est la plus visée (Le Monde 20/10/2000) pendant que le bureau d’éducation du Kansas a décidé d’exclure Darwin des manuels scolaires. Quant à l’obligation de faire afficher les Dix Commandements dans le classes, elle est en débat dans plusieurs États américains. Trois l’ont autorisé, huit autres en discutent ( Le Monde 20/10/2000). Heureusement, l’enseignement dépend fortement des autorité locales qui se révèlent parfois plus libres. On se contente de peu…
Deux bonnes nouvelles ont cependant marqué l’année.
Du côté britannique, la loi sur le blasphème va, au bout de quatre cents ans, être révisée. C’est un effet de la convention européenne sur le droits de l’homme qui va enfin avoir force de loi en Grande-Bretagne (Sunday Times 1/10/2000).
En Italie, le 13 décembre, la cour constitutionnelle a éliminé du code pénal italien le délit d’injure à la religion d’Etat en arguant du devoir de neutralité de l’état ( Laïcità, décembre 2000).
Au rayon des nouvelles technologies, le procès intenté en France à Yahoo, a retenu l’attention, mais il portait sur un site d’enchères à des ventes ( comportant des objets nazis), ce qui ne me semble pas exactement relever de la liberté d’expression. Il est vrai que par ce biais, c’est le contrôle de tous les sites Internet qui est dans le collimateur. Yahoo s’est défendu le plus souvent sur un plan technique, en arguant par exemple que bloquer le mot « nazi », va également bloquer les sites anti-nazis (Le Soir 6/11/2000, Le Monde 8/11/2000). Un collège d’experts a estimé qu’on pouvait connaître la provenance géographique de 70 à 80% des internautes, voire 90% si on demandait une déclaration d’origine. L’objet – exaltant, paraît-il - de l’affaire est que les internautes français n’aient plus accès au site. Le procès s’est terminé par la condamnation de Yahoo ( Le Monde 22/11/2000), le juge suggérant (sic) d’exiger une déclaration de nationalité avant la recherche. Nul ne doute de la sincérité des déclarants…
À mon sens, la liberté sur Internet est un décalque de la situation des imprimés : tous les États du monde se réservent le droit d’interdire les importations. Faut-il souhaiter le même succès aux États pour les sites ?
Les États qui empêchent la liberté d’expression se frottent en tous cas sûrement les mains.
Pour ce qui est des rubriques habituelles, on notera que la fatwa contre Salman Rushdie tient toujours ( Le Monde 15/2/2000) mais que celui-ci a pu séjourner en Inde, son pays de naissance, pour la première fois depuis douze ans, malgré les protestations des autorités musulmanes (Le Monde 18/4/2000).
Notre pauvre Joseph Hick a dépassé son 5000ème jour de lutte par une lettre à l’évêque de Liège ( Le Soir 10/3/2000), mais il a remporté une victoire par l’annulation par la Cour de Cassation de l’arrêt de la Cour du Travail de Liège qui l’avait débouté (Le Soir 23/5/2000).
Nous terminons sur les atteintes les plus grossières ou les plus cocasses de l’année à la liberté d’expression. Les accessits tout d’abord. La plainte de l’abbé Mauriel et de son avocat Me Collard contre les Guignols, pour cause de lynchage (la plaisanterie était que Me Collard démontrait que l’abbé était non pas pédophile mais zoophile) ( Le Monde 6/5/2000).
Les Slovaques ont interdit une exposition de l’actionniste viennois Hermann Nitsch. La protection des animaux y aurait été pour quelque chose ( Le Monde 4-5/6/2000).
En Belgique même, l’évêque de Liège a fait enlever une bannière de l’exposition World Wild Flags, parce qu’un ange y était pourvu d’un sein, et ce, dans la cour de l’évêché (Le Soir 14/6/2000).
La palme revient à Ovadia Yossef, leader du parti Shass, en Israël, qui a déclaré que « les six millions de malheureux juifs que les nazis ont tués… étaient la réincarnation des âmes qui ont pêché et ont fait des choses qu’il ne fallait pas faire » (Le Monde 9/8/2000).
Le scandale a été total dans les milieux juifs mais Ovadia Yossef n’a pas été condamné pour révisionnisme, le délit n’existe pas en Israël.