Bulletin Numéro 52 - Label et l'abbé
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Bulletin Numéro 52 |
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Label et l'abbé |
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LABEL... et l'abbé !
Marc SCHEERENS, prêtre catholique actif.
Administrateur de la LABEL
L'abandon de la censure et le droit à la liberté d'expression sont-ils compatibles avec un état de vie, une appartenance à une société religieuse qui a bâti son projet sur une douzaine de dogmes ou de vérités à croire absolument sous peine d'exclusion ? Y-aurait-il une place pour le libre examen dans l'Eglise catholique ?
Je veux le penser. J'accepte de militer avec la LABEL pour ce droit fondamental. Tous les systèmes totalitaires on essayé de restreindre la liberté de dire par la censure. Aucune n'est parvenue à restreindre entièrement la liberté de penser ni à contraindre absolument les consciences.
Penser, c'est vivre (Cogito ergo sum) écrivait Descartes : le droit d'exister par soi et pour soi, en maîtrisant les événements par la pensée, est un héritage fondamental de notre histoire occidentale. Je serai donc un administrateur de la LABEL par choix, par réaction aussi tant au populisme qu'au totalitarisme.
Antécédents
Devenir un être libre s'apprend. Il s'agit sans doute de sortir d'un contingentement, d'un "c'est comme ça". Il s'agit de se heurter à la norme du socialement correct. Il s'agit de prendre des risques par honnêteté, par respect de soi, par refus d'être infidèle à soi-même.
La fidélité à soi ne serait-elle pas la seule norme pour juger du bien fondé d'une action à vivre, qui aura des effets ?
L'apprentissage se fait sur le tas, par l'analyse de l'impact des actes posés. Pour qui le résultat est-il positif ?
Est-ce que ma conscience apaisée me permettra de dormir en paix ?
L'apprentissage de la liberté naît aussi de lectures et de rencontres. Par exemple : quand j'étais au séminaire, le responsable du cours de droit canon nous a dit, à propos de la licéité de certains actes : "Ne me demandez pas ça sinon vous savez que je devrai dire non. Faites-le et assumez".
Certains personnages de l'Histoire ont su, en leur temps, prendre des risques pour rester eux-mêmes. Je pense à François d'Assise qui a entendu les appels des laissés pour compte dans le développement des Villes et qui a cherché un moyen de ne pas les exclure de ce développement. Il a opté pour une liberté par le dépouillement alors qu'autour de lui beaucoup la trouvaient dans l'aisance et la possession.
Même en minorant l'impact de la lecture des Evangiles sur sa vie, son apport au changement des mentalités d'alors peut être reconnu comme une valeur. Pour vivre libre aujourd'hui, la maxime de Cyrano me semble bonne : "Ne pas grimper bien haut peut-être mais tout seul".
Ce qui m'a aidé pour parvenir à un certain niveau de liberté personnelle ce sont les études, les comparaisons, la sociologie. Je me suis, en premier, formé comme assistant social spécialisé en développement communautaire.
Ensuite, j'ai entrepris des études de théologie dans le but d'être ordonné prêtre dans l'Eglise catholique. A la fin de ces quatre années, il manquait des heures à mon décompte pour valider le diplôme. Ces heures étaient celles pour lesquelles j'avais une formation "laïque" d' assistant social.
J'ai donc demandé qu'elle soient reconnues comme telles. Après un an, la Direction du Séminaire a validé mon cursus. Je n'avais pas plié, j'avais enduré, je restais un homme libre.
Pratiques
Je suis tombé dans le christianisme quand j'étais petit (comme Obélix?). Dans les années 50, c'était bien vu de donner au moins un fils à l'Eglise et j'ai grandi avec ce désir ou ce projet. A la fin de mes humanités classiques, l'Eglise catholique était en ébullition : c'était le moment du Concile Vatican II. (Beaucoup chez nous disaient : "Enfin !")
Il leur faudra déchanter (et beaucoup sont sortis de la pratique tout en restant chrétiens) parce que, comme dans toutes les institutions de la Terre, il n'y a pas de révolution possible si les employés des administrations restent les mêmes. A Rome aussi, les services de la Curie ont attendu que cela passe pour reprendre les habitudes un instant menacées.
En même temps, autour de l'Eglise, le Monde aussi entrait en contestation : c'est l'époque des incidents sur les campus américains relayés en Europe par les événements de Mai 68 (Quand tout se sera calmé, il y aura progressivement le double de policiers en France).
Mon ministère a officiellement débuté en 1976 après les apprentissages de terrain jugés utiles (des stages en quelque sorte). Dès la première présidence d'une célébration liturgique, j'ai décidé que je ne me plierai pas au contenu des rubriques : "Je ne jouerai pas "Le Seigneur soit avec vous" – "Et avec votre missel" Je ressentais profondément qu'il fallait sortir du prescrit pour rester un honnête homme.
Je confesse que je traduis ce ressenti profond comme un appel venant d'En Haut, de plus haut, de plus loin... et je m'appuie, pour le mettre en œuvre sur une affirmation de Thomas d'Aquin : "Contre une conscience éclairée, Dieu lui-même ne va pas."
Pour vivre cette liberté par rapport à l'ordo, pour acquérir une attitude sereine et pacifiée, j'ai dû m'enquérir des traditions anciennes, de l'origine des rites liturgiques, j'ai dû aussi ouvrir un espace intérieur où résonneraient les appels, les besoins réels des hommes et les confronter avec une Parole vivante.
Je me dois de dire au lecteur que je crois sincèrement, et après analyse, que ma vie - et toute vie ?- vient de quelque part et va quelque part. J'ajouterais pourtant :"'Je n'ai pas la foi; je suis croyant".
J'ai balisé ma pensée de quelques slogans, de convictions élaborées au fil du temps, comme traduction de mon "être-au-Monde". Si je savais qui était Dieu, je serais Dieu. Or, je sais que je ne suis pas Dieu . Sortons Dieu des religions et le Monde s'en portera mieux . L'évangile n'était pas fait pour tomber en religion mais, hélas, c'est ce qui lui est arrivé.
Je confesse donc un certain agnosticisme mais j'y ai découvert une vraie liberté de penser et d'agir en conséquence.
Quand je suis face à une assemblée, je n'ai pas pour objectif de convaincre ou de faire des adeptes. Je souhaite seulement que ceux qui sont là explorent leur propre intériorité et y découvrent leurs raisons personnelles de vivre ou de croire. L'Eglise en vieillissant a perdu beaucoup de l'esprit de son commencement.
Il faut compléter en disant qu'alors l'athéisme était impossible. (Il y a en ce domaine aujourd'hui une liberté de choix qui n'existait pas alors et c'est très bien). Au début, il s'agissait d'offrir un autre moyen de se relier (religion) à une Puissance Supérieure en lui donnant visage. Il y avait une forme d'appel "communiste" à mettre tout en commun en sorte que personne ne vive dans le besoin. Ce courant altruiste est tombé en religion puis cette religion est devenue une morale et cette morale s'est restreinte, s'est braquée sur la sexualité.
La sexualité et ses désirs, ou ses pulsions, doivent être contrôlés surtout si elle pousse à commettre des actes répréhensibles -édictés : contre une volonté divine préalable - et, par conséquent, le plus efficace semble être la menace d'une condamnation éternelle irrémissible. (En même temps, l'exploitation des faibles, les exactions économiques, le racisme blanc, les attentats dans des maternités "abortive", ... trouvent chez certains des justifications divines !)
Face à une Institution qui a laissé des traces si (trop) profondes dans les mémoires génétiques, pour en sortir, rester honnête, rester un homme libre, il faut humblement essayer de comprendre les humains alentour. Il faut les aimer, pas en mots et en paroles, mais en actes véritablement. Vivre "l'être prêtre" comme un service à l'Humain, comme un homme à qui nul n'a coupé les ailes... ni le zèle. Peut-être servir l'Humain à la manière d'un Docteur PEERS avec tact et empathie.
Je peux donc parler librement devant une assemblée.
Je peux écrire des textes à destination de ceux qui vivent leur foi sur le territoire qui m'a été confié.
Je peux transgresser ce qui semble des frontières absolues... si je le fais avec tendresse et sans haine.
Je suis fidèle à moi-même, je laisse paraître ma relation à Dieu mais je ne l'impose pas comme unique authentique.
Le fait que les lieux où je préside des liturgies ne soient pas désertés est une sorte de réponse, d'adhésion positive à ce que je suis. Il y a un consensus.
Sauvegarder sa liberté de pensée dans l'institution catholique, ne pas être d'accord avec tout le prescrit et rester membre de cette institution, est-ce possible ?
Pourquoi ai-je fait ce choix ? Parce qu'une institution ne se réforme pas de l'extérieur mais de l'intérieur. Parce que le bienfait que je ressens d'être libre penseur, je souhaite aussi que d'autres le ressentent et en fassent l'expérience.
Je suis pour la fécondité du débat, pour la confrontation sans haine ni censure préalable, de toute pensée créée par un autre être pensant.
Bien des points de la doctrine inscrite dans le catéchisme catholique sont questionnés par ces chrétiens avec qui je vis et pratique. J'aimerais que ceux qui se sont donné les plus hautes charges ecclésiales renoncent au pouvoir absolutisé dans les dogmes et écoutent leur base en se souvenant d'un autre adage théologique : "Vox populi, vox Dei" (et non : "vox episcoporum"...).
Les propositions du Credo commun à toutes les confessions chrétiennes sont des balises et comme telles, il faut en connaître la formulation.
Mais seule l'intelligence et l'adaptation en mots aux mentalités d'aujourd'hui peut en donner une juste compréhension susceptible d'orienter des choix de vie.
Si je compare ma situation à d'autres états de vie ou de travail, je pense que je suis plus libre que beaucoup.
Quand j'ai ouvert les portes de l'église Notre-Dame de Lourdes à Jette pour l'exposition "Irreligia", nul puissance de l'Eglise n'a pu me l'interdire. Comme "curé canonique", parce que j'avais estimé en conscience que c'était bon et utile, l'évêque lui-même ne pouvait pas me désavouer (cela ne signifie pas qu'il était d'accord). Dans les faits, certains sont venus pour se faire mal, pour hurler au blasphème : ils ne devaient pas venir pour cette seule raison. Ils auraient du entrer pour comprendre cette trace que la religion catholique a
aissé dans certaines consciences et s'interroger eux-mêmes devant un confessionnal en "LEGO", une Vierge sous globe pleurant des Zlotys, et tant d'autres mises en images.
Quand les chrétiens n'ont plus d'humour, ne savent plus rire d'eux-mêmes, ils n'ont plus d'amour... et donc ils deviennent inutiles.