Bulletin Numéro 50 - Réprimer les émeutiers, pas les idées
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Bulletin Numéro 50 |
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Réprimer les émeutiers, pas les idées
Les autorités publiques ont tendance à réagir « à chaud » lorsqu’un problème un peu – ou beaucoup – spectaculaire se pose.
Ce n’est pas totalement anormal et ce n’est pas neuf : bien des lois d’apparence générale s’expliquent par un fait particulier.
Formellement, le problème est bien là : on doit rédiger les lois en termes généraux et universels et très souvent on élargit le champ du problème.
Quelques faits récents en France et en Belgique nous montrent les périls de ce type d’attitude pour la liberté d’expression, indépendamment des réactions épidermiques qui jettent les uns et les autres vers des attitudes où le souci policier de la sécurité obscurcit le raisonnement.
Toulouse
Après les crimes épouvantables (spécialement ceux commis contre les enfants juifs) perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse, le président de la République française a proposé dès le 22 mars d’enrichir l’arsenal législatif français par un dispositif tel que « toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l’apologie du terrorisme ou appellent à la haine ou à la violence sera punie pénalement »(1).
La liste des problèmes de fond ou pratiques que pose une telle proposition est infinie.
La consultation ne veut rien dire : elle peut être le fait d’adversaires déterminés, d’observateurs scientifiques ou de journalistes nullement complices.
Plus grave encore : qu’est-ce qu’une association terroriste ? Pour prendre un cas clair, Batasuna (pour lequel j’approuve les poursuites en Espagne) n’est pas interdit en France. D’un pays à l’autre, et internet est sans limite, la sensibilité peut changer fortement. Quel pays arabe va accepter la chasse aux Palestiniens ?
En quoi les Kurdes sont-ils des terroristes et les indépendants croates ne l’étaient-ils pas ?
En outre, vouloir de telles lois implique d’accepter la constitution d’une administration qui contrôle Internet, comme en Chine ?(2). Il ne faut pas être naïf mais est-ce sans péril ?
Derrière ce raisonnement, il y a la peur panique de l’islamisme et du terrorisme islamique.
Je ne peux le négliger, ne serait-ce qu’en pensant aux tentatives d’assassinat - toutes ratées jusqu’à présent – à l’encontre des dessinateurs du Jyllands-Posten.
Mais Mohamed Merah est d’abord un pauvre type des banlieues françaises. Sa vie d’enfant et d’adolescent a été un enfer, entre un père violent, les disputes entre ses parents. Il frappe sa mère, est placé en foyer, etc. etc..
Comme il le dit « J’ai une vie de merde »(3).
D’autres l’auraient subie, lui s’est révolté d’une manière indéfendable et absurde.
Mais le problème est-il celui du terrorisme ou celui de l’immigration ? Ce dernier point n’est pas simple et je n’ai pas de solution claire à proposer pour le résoudre.
Que Mohamed Merah se soit réfugié dans l’islamisme et l’anti-sionisme n’est pas sans signification mais est-ce le vrai moteur ? On est loin de la constitution d’un mouvement activiste.
Et puis Bruxelles
La Belgique n’a pas fait mieux avec l’affaire Sharia 4 Belgium et Fouad Belkacem en juin dernier.
Punir les émeutiers qui agressent les agents de police est plus que légitime, c’est indispensable.
Ce ne sont pas les partisans de la liberté d’expression qui risquent de les défendre. Mais ils ont droit à un procès honnête et on peut avoir des doutes là-dessus. Rédiger avant toute audience une ordonnance de maintien en détention n’est pas normal(4).
Il est indispensable de soutenir le courageux éditorial qu’Yves Desmet a publié en première page du Morgen du 13 juin. Aller modifier pour ce seul cas une règle générale de manière à faire purger une peine que personne d’autre n’accomplit n’est pas normal et ne va rien arranger.
Suite au drame de Toulouse, Bart De Wever a été le premier à vouloir interdire Sharia 4 Belgium(5). C’est tout mélanger. Les actes peuvent être punis ainsi que leur commencement d’exécution, aucune loi nouvelle n’est nécessaire pour cela. Mais ajouter une nouvelle loi répressive où on assimile les idées aux actes n’est pas acceptable.
Mme Milquet(6) voulait interdire « les associations ou groupements de fait qui provoquent des manifestations armées dans la rue ou qui soit provoquent par leurs actes la discrimination, la haine et la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou des théories tendant à justifier ou à encourager ou provoquer cette discrimination, cette haine ou cette violence ».
On voit le péril sans fin d’une telle activité et la manipulation particulièrement aisée rendue possible par la loi de 2007 réprimant l’incitation à la haine.
Tout qui n’est pas gentil ou « correct » est menacé dans sa liberté. Il ne restera bientôt plus rien de la liberté d’expression si on s’obstine sur cette voie.
Pourchasser l’islamisme et donner des gages à une population apeurée ne justifie pas tout et surtout pas la conjonction des idiots qui ne voient pas ce qui va se passer et des malins qui se frottent les mains en voyant les possibilités inespérées qui s’ouvrent à eux pour régir et supprimer la liberté d’expression.
Passons sur la passion belge de la lutte contre l’extrémisme : a-t-on jamais trouvé concept plus flou et plus mouvant? La liste est longue des « extrémistes » devenus centristes, représentatifs, des plus honorables ou présidents de la République.
La Chambre belge semble s’en être rendu compte et piétine devant le projet de loi de la Ministre de l’Intérieur (et du Gouvernement).
Le député Richard Madrane s’est dit impressionné par l’audition de Guy Haarscher et le modèle américain « Aux Etats-Unis, rien n’interdit au Ku Klux Klan de vociférer dans une prairie mais il est interdit de vociférer ainsi devant la maison d’un Noir »(7).
C’est la seule solution et je ne cesse de le répéter : l’incitation au meurtre effectif est un crime, le reste est liberté d’expression (parfois bien pénible).
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1. Le Monde du 24 mars 2012
2. Je suis les objections de Jacques Follorou, Damien Leloup et Laurent Checola, Le Monde du 24 mars 2011
3. Double page d’Emeline Cazi dans Le Monde du 13 juin 2012
4. Le Soir du 13 juin 2012
5. La Libre Belgique du 27 mars 2012
6. La Libre Belgique du 19 juin 2012
7. Le Soir du 5 juillet 2012